RSS

Les noces de Cana: une création littéraire?

01 Juin

Dans ce nouvel article, je propose aux lecteurs une étude exégétique qui a pour objectif de déterminer si le célèbre récit de l’eau changée en vin par Jésus à Cana (Jn 2.1-11) est historique, possède un fond historique, ou s’il est au contraire une création littéraire dont le but est purement théologique. La raison de cette démarche s’appelle Benoît, qui, en marge de nos passionnantes discussions sur son blog, m’a exprimé combien il lui était difficile de concevoir que les évangiles puissent contenir des récits « fictifs » ou « inventés ». Je saisis son interrogation au vol pour tenter d’y répondre.

______________________________________________________________

Quand Jésus voulait exprimer quelque chose
de très important sur Dieu, il parlait en paraboles;
quand l’Église primitive voulait dire quelque chose
de très important sur Jésus, elle aussi parlait en paraboles.

John Dominic Crossan
(source et références dans cette page)

* * *

SOMMAIRE

Introduction

1. « le troisième jour »
2. Les références à « la mère de Jésus »
3. Un schéma théologique plus ample
4. La signification symbolique du miracle
5. La notion de « commencement »

Conclusion générale de Meier

Notes

Remarques personnelles
Brève discussion

Non seulement la création de récits fictifs est possible, mais l’analyse approfondie des textes bibliques le démontre amplement. Je vais limiter mon exposé à un récit du quatrième évangile, celui de l’eau changée en vin à Cana (Jn 2.1-11), en me basant sur les analyses de l’exégète américain John Paul Meier[1] (photo).

Si j’ai choisi Cana, c’est que, d’une part, le récit est assez court et que, d’autre part, ce miracle n’est pas attesté dans les autres évangiles, évitant ainsi des analyses comparatives supplémentaires. C’est aussi un récit qui, parmi tous ceux qu’analyse Meier, a de fortes chances d’avoir été inventé par Jean (et/ou son école), et acquiert donc à ce titre valeur d’exemplarité (quoique Benoît ne semble pas convaincu par mon exemple!)[2].

Dans sa « quête du Jésus historique », Meier déploie un arsenal méthodologique qu’il est inutile de présenter ici. La majeure partie de sa démonstration concerne les particularités littéraires et théologiques du quatrième évangile, dont la présence massive d’un bout à l’autre du récit de Cana conduit à penser qu’il ne remonte pas à une tradition primitive mais doit tant sa forme que son contenu à la main de l’évangéliste.

Je vais dans un premier temps présenter en détail les « traits johanniques » du récit, qui sont au nombre de cinq (d’après Meier), avant de faire quelques remarques personnelles. Je ne possède malheureusement pas d’autre étude substantielle sur ce récit afin d’avoir un point de vue différent sur la question.

* * *

1. « le troisième jour »

C’est par cette indication chronologique que commence le récit (2.1): Le troisième jour, il y eut des noces à Cana de Galilée. Pour en saisir la portée, il est nécessaire de diriger notre attention sur les récits précédents, qui comportent également une indication chronologique récurrente :

1.29: Le lendemain, [Jean Baptiste] voit Jésus venir à lui et dit: « Voici l’agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. »

1.35: Le lendemain, Jean [Baptiste] était de nouveau là, avec deux de ses disciples […].

1.43: Le lendemain, [Jésus] voulut se rendre en Galilée, et il trouve Philippe.

Nous constatons qu’au « lendemain » du témoignage de Jean (1.19-28), succèdent deux autres « lendemains », à la suite desquels s’inscrit « le troisième jour » du récit de Cana. Cet élément opère une transition vers ce nouveau commencement qu’est celui des « signes » opérés par Jésus (2.11), en réponse à la promesse faite à Nathanaël: Tu verras des choses plus grandes encore… (1.50; il faut sans doute comprendre « le troisième jour » depuis cette promesse, comme le note la TOB). Meier écrit: « Le récit de Cana fonctionne comme une charnière: il couronne l’appel des disciples […] et il marque le commencement des signes de Jésus. » (p. 714; Meier revient sur ce rôle de charnière dans son point 5.)

Ces quelques précisions montrent que la mention « le troisième jour » n’est pas une indication historique mais remplit une fonction structurelle au sein du récit évangélique. Autrement dit: il n’est pas ici question d’histoire mais de littérature, et il est inutile d’invoquer les « trois journées pour se rendre de la Judée à Cana », comme le fait la Bible Annotée (p. 75, note 1; réimp. de l’éd. de 1899).

* * *

2. Les références à « la mère de Jésus »

À plusieurs reprises, il est question de la mère de Jésus: La mère de Jésus était là (v. 1); la mère de Jésus lui dit (v. 3); Sa mère dit aux serviteurs (v. 5); il descendit à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples (v. 12).

a) Il est frappant de constater que, contrairement aux évangiles synoptiques, Jean ne mentionne jamais le nom de la mère de Jésus, Marie. Est-ce accidentel ou intentionnel? Il semble que ce silence soit délibéré. En effet, Jean connaît le nom du père putatif de Jésus (Joseph; voir 1.45; 6.42). De plus, alors que chacune des femmes se trouvant au pied de la croix est nommée, seule Marie ne l’est pas, qui est ici comme ailleurs désignée comme la mère de Jésus (19.25). Meier parle d’une « expression qui ressemble à une sorte de formule ou de titre » (p. 716).

b) À sa mère qui lui fait remarquer qu’ils n’ont pas de vin (v. 4), Jésus répond d’une bien étrange manière: qu’avons-nous de commun en cette affaire, femme? Mon heure n’est pas encore arrivée. Quoique cette interpellation ne soit guère insultante vis-à-vis d’une femme (voir 4.21; 8.10; 20.15), elle est par contre fort inhabituelle quand celui qui la profère s’adresse à sa propre mère. Meier écrit: « Si nous mettons ensemble cet étrange mode d’interpellation et la manière dont l’évangéliste évite le nom de Marie pour lui préférer la locution plus formelle ‘la mère de Jésus’, cela nous amène naturellement à en déduire que l’évangéliste a l’intention de mettre en avant une sorte de relation symbolique entre Jésus et sa mère » (p. 716).

c) Outre le début du ministère public de Jésus à Cana, on retrouve à nouveau la personne de Marie (« sa mère ») associée à l’interpellation « femme » lors de la crucifixion (19.25). Plus qu’un simple « équilibre littéraire », estime Meier, ces deux scènes se répondent par un « renvoi théologique » délibéré[3]. En effet, lors des noces à Cana, Jésus dit à sa mère que son « heure » n’est pas encore arrivée (v. 4), heure qui renvoie à sa crucifixion-glorification. Cette mise à distance opérée par Jésus vis-à-vis de sa mère au v. 4 est répercutée sur le plan de la composition littéraire de l’évangile, où nous voyons Marie disparaître du récit en 2.12 pour ne réapparaître qu’à proximité de la croix en 19.25.

Meier conclut ce second point en écrivant que « si l’on considère ensemble la façon dont Marie est mentionnée et dont Jésus s’adresse à elle dans le premier miracle de Cana, la façon dont il prend momentanément ses distances vis-à-vis d’elle et dont il fait allusion à sa place future au pied de la croix, on en déduit que tout cela trouve sa signification uniquement dans la composition d’ensemble de l’évangile de Jean. Pour le dire autrement, la manière de mentionner Marie et de s’adresser à elle, son rôle théologique et symbolique et son dialogue avec son fils au premier miracle de Cana semblent provenir du travail de composition globale de l’évangéliste et non de la tradition » (p. 717).

* * *

3. Un schéma théologique plus ample

Une des particularités du Jésus johannique est qu’il « connaît toute chose et garde l’initiative de ce qui arrive, même dans sa passion et sa mort; il manifeste ainsi son contrôle des événements et sa souveraineté divine » (p. 718). Plusieurs récits de miracle, dont celui de Cana, reflètent cette christologie où Jésus garde l’initiative, même quand on lui fait part d’une demande, explicite ou implicite, de miracle[4].

Ainsi, dans les récits de l’eau changée en vin, de la guérison de l’officier royal (4.43-54) et de la résurrection de Lazare (chap. 11), on observe un même schéma littéraire où s’illustrent l’initiative souveraine de Jésus, sa maîtrise des événements et sa soumission au calendrier divin et à la volonté du Père. Meier met en évidence ce modèle fondamental dans les trois récits (p. 719-720); je me limite à noter entre parenthèses ce qui concerne le récit des noces à Cana:

(a) Demande implicite ou explicite de la personne (Marie: ils n’ont pas de vin);

(b) Jésus semble d’abord refuser (Jésus: qu’avons-nous de commun en cette affaire, femme? …);

(c) sans se décourager, la personne persiste d’une manière ou d’une autre dans sa requête, montrant ainsi implicitement sa foi en Jésus (Marie: Faites tout ce qu’il vous dira);

(d) Jésus accède à la demande de manière inattendue, étonnante et spectaculaire, avec une générosité surabondante et un symbolisme théologique particulier (Jésus leur dit: Remplissez d’eau ces jarres. Etc.).

Conclusion provisoire de Meier: « En 2.1-11, la marque du travail rédactionnel de l’évangéliste est donc visible non seulement (1) dans la manière dont est présenté le rôle théologique de la mère de Jésus dans ce récit en référence au rôle qui sera plus tard le sien dans le récit de la crucifixion de Jésus, mais aussi (2) dans le schéma même où se succèdent demande, refus apparent, foi persistante et réalisation finale du miracle d’une manière inattendue. Il semblerait donc que les cinq premiers versets du récit, ainsi que sa structure d’ensemble, soient largement ou totalement la création de l’évangéliste. » (p. 720)

* * *

4. La signification symbolique du miracle

a) À côté de cette spécificité christologique johannique, un autre trait distingue Jean des synoptiques, à savoir le caractère massif et spectaculaire des miracles, tant sur le plan qualitatif que quantitatif: guérisons d’aveugles dans les synoptiques, d’un aveugle de naissance chez Jean; résurrections chez les premiers, résurrection d’un homme au tombeau depuis quatre jours chez le second; des guérisons de malades qui l’étaient depuis 12 et 18 ans chez les uns, guérison d’un paralytique qui l’était depuis 38 ans chez Jean; Jésus marche sur la mer chez Marc et Matthieu, Jean achève son récit par un accostage soudain et miraculeux sur le rivage vers lequel voulaient se rendre les disciples. Bref, « tout ce que le Jésus des synoptiques sait faire », note Meier avec humour, « le Jésus johannique le fait mieux encore […]. » (p. 720-721) Ce caractère massif et spectaculaire se retrouve aussi à Cana, où Jésus fournit l’équivalent de 360 à 540 litres de bon vin alors que la noce est déjà bien avancée.

b) Un autre trait est noté par Meier: « Selon l’habitude de Jean, la réalité physique qui est décrite […] est le symbole d’une réalité plus haute, spirituelle et eschatologique. » (p. 721) Il s’agit, dans le récit qui nous occupe, du bon vin que Jésus donne en abondance. Cette abondance de vin au temps de la moisson (à la fin de l’année) symbolise la « joie de la fin »; l’image du vin qui coule à flot a été utilisée par les prophètes « pour symboliser la joie des ‘derniers jours’, lorsque Yhwh métamorphosera la condition pécheresse et misérable de son peuple ». (ibid.; voir Am 9.13-14; Es 25.6-7; Jr 31.12-14)

c) On trouve aussi dans le récit l’image connexe de Yhwh comme véritable époux d’Israël, qui se réjouit avec son épouse au banquet de noce des derniers temps (Es 54.4-8; 62.4-5). Dans ces passages, c’est toujours Yhwh lui-même qui est présenté comme l’époux, et non un personnage « messianique » (voir aussi Os 1–2; Jr 2.2; 3.1-12; Ez 16.23). Dans le NT, Jésus est le personnage messianique qui prend la place de Yhwh comme époux marié au peuple de Dieu dans les derniers Jours (voir aussi les “noces de l’Agneau” dans Ap 19.7-9; ainsi que Mc 2.19-20; Mt 22.1-14; 25.1-13). « L’image de l’époux passe donc de Yahvé au messie et, au Ier siècle de notre ère, ce transfert semble faire partie intégrante de la théologie chrétienne. » (p. 722)

Ajoutons à ce qui vient d’être dit que, en Jean 3.27-30, Jésus est désigné (de manière quelque peu contournée) par le Baptiste comme l’époux d’Israël. Il « semble vraisemblable », écrit Meier, « que le premier miracle de Cana entende aussi évoquer l’idée d’un Jésus époux, venant convier son épouse Israël à la fête des noces » (p. 722).

Ce symbolisme du Jésus-époux pourrait expliquer l’énigmatique retrait de Jésus et l’éloge qu’adresse l’organisateur du repas à un anonyme époux (v. 9) qui apparaît subitement au point culminant de la scène. Ce que l’organisateur lui dit est riche de sens dans le contexte symbolique dégagé: Tout homme sert d’abord le bon vin […]. Toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant! (v. 10) « Le ‘jusqu’à maintenant’ rappelle l’eschatologie réalisée de Jean: maintenant, dans le temps de l’incarnation et de la révélation du Fils de Dieu sur terre, maintenant le vin abondant de la fin des temps est versé pour la fête des noces messianiques. » Compte tenu de tout ce qui vient d’être dit, il est vraisemblable que « dans la pensée de l’évangéliste, l’époux silencieux auquel est adressée la louange au point culminant du récit symbolise Jésus » (p. 722-723).

d) Meier note un autre élément qui « trahit aussi le travail rédactionnel de l’évangéliste d’une autre manière » (p. 723). Au v. 9, il est dit que l’organisateur ne savait pas d’où venait l’eau-devenue-vin, tandis que les servants le savaient, eux qui avaient puisé l’eau. On trouve ici un autre trait caractéristique que les spécialistes appellent l’ »ironie johannique ». Au-delà de ce trait, quelque chose de plus profondément théologique se profile: « Ailleurs dans l’évangile, le mot clé ‘d’où’ (sur cette particule, voir notamment 8.14, mais aussi 4.11; 6.5; 7.27-28; 9.29-30; 19.9) est employé comme une sorte de code pour parler de l’origine divine de Jésus, qui vient du monde céleste. Dans la théologie de Jean, lors de l’incarnation Jésus est descendu du ciel (‘d’où’ il vient) et il y retournera en passant par la croix (‘[vers] où’ il va). Connaître la véritable origine de Jésus (‘d’où’ il vient), et donc sa nature divine et le don divin qu’il vient apporter, équivaut à croire et à posséder la vie éternelle; ne pas connaître cette origine c’est déjà être condamné » (p. 723). Ainsi, dans ce premier miracle à Cana se profilent en germe des thématiques christologiques et théologiques qui seront développées plus loin dans l’évangile: l’opposition entre connaître et ne pas connaître, combinée au thème de l’origine du don divin fait par Jésus.

e) Les jarres de pierre à propos desquelles Jean souligne que l’eau qu’elles contiennent sert pour la purification ont également une valeur symbolique. Le changement de cette eau en vin abondant de qualité « peut symboliser pour l’évangéliste le remplacement du judaïsme par le christianisme ». Cette lecture symbolique est confortée par ce qui suit le récit. En effet, « si on le lit préci-sément comme le commencement des signes de Jésus, il introduit toute une série de ses actions et de ses discours qui soulignent le remplacement de la religion juive[5] » (p. 724, l’auteur souligne). Meier poursuit en évoquant un contexte de crise et le douloureux déchirement qui s’en est suivi: « Ce thème ouvertement polémique trouve tout son sens vers la fin du premier siècle, au moment où l’Église johannique, originellement située à l’intérieur de la syna-gogue juive, a subi une rupture traumatisante avec le judaïsme et cherche dès lors à exprimer sa nouvelle identité de peuple séparé. En projetant sur le passé sa vision théologique du moment, l’évangéliste voit cette douloureuse rupture comme étant l’œuvre de Jésus lui-même, qui, au cours de sa vie humaine, réalise symboliquement le remplacement du judaïsme par l’Église. » (p. 724)

* * *

5. La notion de « commencement »

La conclusion du récit au v. 11 montre elle aussi un intérêt typiquement johannique. Il s’agit d’abord de la notion de « commencement », importante dans la tradition johannique. Elle ne se retrouve pas seulement dans le prologue (1.1), mais aussi dans la 1re épître de Jean (1.1-3). Le « commencement » du prologue fait référence à celui de la création (Gn 1.1), tandis que l’indication de Jn 2.11 et celle de 1 Jn 1.1-3 se réfèrent au début du ministère public de Jésus dans lequel s’enracine la tradition johannique selon que les disciples sont avec Jésus depuis le commencement (Jn 15.27). « Ce ‘commencement' », écrit Meier, « cette constitution du groupe des disciples, est parvenu à un sommet et à un tournant dans le premier miracle de Cana, en Jn 2.1-11. Pour la première fois, Jésus accomplit un signe miraculeux en présence de ses disciples. » (p. 725)

Ce « commencement » est aussi le premier d’une série de signes « qui vont manifester de manière de plus en plus détaillée le don abondant, débordant, de la vie divine, symbolisé succinctement dans ce premier signe. […] Le but de ce premier signe de Cana et de tous les signes qui révèlent la ‘gloire’ de Jésus (c’est-à-dire son union de vie et d’amour avec le Père, une union offerte à toutes les personnes qui accueillent sa révélation) est d’amener les disciples à une foi de plus en plus profonde (v. 11c): et ses disciples crurent en lui. » (p. 725-726)

Meier conclut: « On voit donc comment 2.11 fonctionne parfaitement comme une charnière: d’une part, ce verset parachève la constitution du groupe des premiers disciples, qui maintenant croient; d’autre part, il commence la série de signes qui vont progressivement révéler la gloire de Jésus et conduire les disciples à une foi plus profonde. » (p. 726)

Meier ajoute que la main rédactionnelle de Jean est aussi visible par le rôle structurant du v. 11: il forme en effet une inclusion (sur ce terme, voir note 1) avec 4.54, où il est question du « second signe », encadrant ainsi la première section du ministère public de Jésus (chap. 2–4). Ces deux versets sont « créés par l’évangéliste pour former une inclusion manifeste qui structure la première partie du ministère public » (p. 727).

* * *

Conclusion générale de Meier

« D’un bout à l’autre, le récit de Jn 2.1-11 est rempli de concepts théologiques et de modèles littéraires johanniques. Il s’inscrit aisément et fonctionne parfaitement dans la structure littéraire et théologique globale de l’évangile. L’impression que l’on en retire est bien que la péricope semble être, en grande partie pour ne pas dire entièrement, une création de l’évangéliste ou, comme certains le pensent, du ‘cercle’ ou de l’’école’ dont il aurait recueilli le travail. » (p. 727)

Je n’ai pas repris les difficultés historiques ou les éléments surprenants qu’expose Meier p. 727 à 729, somme toute minimes par rapport au reste de son argumentation que j’estime concluante.

On peut toutefois se demander si tout cela exclut forcément que Jésus ait pu assister à une noce à Cana. Non, répond Meier. Et il poursuit: « Mais la question qui se pose est de savoir si nous avons des indications suffisantes permettant de dire que le Jésus historique a effectivement accompli à Cana de Galilée un acte extraordinaire sur de l’eau et du vin, un acte que ses disciples et lui-même considéraient comme un miracle. À cette question, la réponse doit être négative. » (p. 730)

_____________________________________

Notes

[1] Sur Meier, on consultera avec profit une brève présentation de la personne et de sa bibliographie francophone sur la page des éditions du Cerf qui le publient. Ceux qui souhaitent se familiariser avec l’oeuvre de Meier sans se ruiner ont gratuitement accès à deux exposés d’un numéro thématique (2008) de la revue Recherches de science religieuse consacré à Meier (seuls 3 vol. sur les 4 actuels de son oeuvre étaient alors parus): « Autour d’Un certain juif Jésus. » Un second numéro thématique daté de 2009, accessible gratuitement, explore les rapports entre l’apport exégétique et historique sur Jésus et la réflexion théologique: « Christologie et histoire de Jésus. Le récit de miracle chez J. P. Meier: Un certain juif Jésus. Faire aujourd’hui une théologie de la vie de Jésus? » Enfin, à ceux qui comprennent suffisamment l’anglais, je propose une interview de John Meier intitulée « Finding the Historical Jesus » (1997); je signale également une conférence de Meier visible sur Youtube ayant pour titre « Jesus the Jew – But What Sort of Jew?« .

[2] Je me demande après coup si les récits de l’enfance de Jésus (Mt 1–2; Lc 1–2) n’auraient pas constitué les meilleurs exemples de la créativité littéraire et théologique des évangélistes (sans doute plus évidente encore chez Matthieu). Meier aborde ces récits dans son premier volume consacré au Jésus historique, p. 130 à 152 (avec les abondantes notes p. 356-374). Je regrette bien sûr de ne pas être en possession de la somme exégétique incontournable sur la question de Raymond E. Brown, intitulée The Birth of the Messiah (1977, nouvelle édition mise à jour depuis). Je signale sur le sujet un Cahiers Évangile de Charles Perrot, intitulé « Les récits de l’enfance de Jésus » (1976). Un point de vue catholique conservateur peut être trouvé chez René Laurentin, Les récits de l’enfance de Jésus, (1re éd. 1985, mais augmentée depuis) qui fait de Marie la source principale de ces récits. Ce livre (que je n’ai pas) est sans doute un abrégé vulgarisé d’une étude plus approfondie sur la question (que je n’ai pas non plus…) intitulée Les évangiles de l’enfance du Christ. Vérité de Noël au-delà des mythes (1982; le livre n’est plus édité. On lira avec profit une courte critique ici).

[3] Ce procédé littéraire et structurel fréquent (à plus ou moins grande échelle) s’appelle l’ »inclusion »; voir d’autres exemples tels que Matthieu 1.23-24 (… on l’appellera du nom d’Emmanuel, ce qui se traduit: Dieu avec nous) et 28.20 (Je suis avec vous…); Marc 1.11 (Tu es mon Fils bien-aimé) et 15.39 (Cet homme était vraiment Fils de Dieu). On peut sans doute dire que l’inclusion la plus large du canon biblique se situe entre Genèse 1-3 (création + Eden/paradis) et Apocalypse 21-22 (nouvelle création + paradis).

[4] Voir l’homme paralysé près de la piscine, 5.1-9; la nourriture de la foule, 6.1-15; la marche sur la mer, 6.16-21; l’aveugle de naissance 9.1-17.

[5] Remplacement du Temple (2.13-22); remplacement des sanctuaires de Jérusalem et de Garizim (4.20-26); remplacement des observances et fêtes juives telles que le sabbat (5.1-18), la Pâque (6.1-58), la fête des Tentes (7.1-9.41) et Hanoukkah avec la dédicace de l’autel (10.22-39). Voir déjà l’affirmation programmatique en 1.17: la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.

_________________________________________________

L’analyse des noces de Cana se trouve dans le second volume de Un certain juif: Jésus. Les données de l’histoire, sous-titré La parole et les gestes, p. 710–730, avec un apparat de substantielles notes p. 1219–1233. — La traduction biblique que j’utilise par défaut pour cet article est celle de la Nouvelle Segond. — La première illustration est un détail d’une peinture à l’huile de Paul Véronèse, intitulée Les noces de Cana, 666 × 990 cm, datée de 1563 et exposée au musée du Louvre à Paris. La seconde illustration est un détail d’une peinture à l’huile de Julius Schnorr von Carolsfeld, également intitulée Les noces de Cana, 138,5 × 208 cm, datée de 1820 et exposée à la Kunsthalle à Hambourg (infos Wikipédia).

_________________________________________________

Remarques personnelles

1. John P. Meier est un pédagogue hors pair et sa lecture des plus stimulantes. Bien qu’il se propose de mener une enquête strictement historique, j’ai pu glaner en chemin de formidables fruits spirituels et théologiques (dont j’espère avoir donné un bon aperçu au lecteur!). Qui a dit qu’une étude historique et critique doit ennuyer le lecteur et ne rien mieux lui communiquer qu’un dessèchement spirituel? Un tel démenti s’explique par le fait que, depuis quelques années/décennies, ont fait leur entrée dans le domaine de l’exégèse des méthodes de lecture inspirées des études littéraires. Ces méthodes — parmi lesquelles je citerais notamment la narratologie — se sont développées et ont été adaptées à leur objet d’étude qu’est la Bible (voir les articles de Marguerat et Wénin sous « approche narrative » dans la page Bible de la bibliothèque).

2. Il est réjouissant de voir Meier faire preuve d’autant de modération et de sobriété (c’est le cas de le dire!) dans ses interprétations symboliques du récit des noces (parfois, il les limite, pour ne pas dévier de l’essentiel). Je pense tout particulièrement aux « préoccupations mariologiques […] qui vont au-delà de l’intention de l’auteur et de la dynamique du texte » (note 221, p. 1226), préoccupations que l’on rencontre de temps en temps chez certains exégètes qui font plus parler leur foi que les textes. Je n’ai rien contre ces interprétations, parfois fort imaginatives — vénérables quand elles sont le fait des Pères de l’Église, folles quand elles sont soutenues par des exégètes de métier. Mais qu’on ne vienne pas me dire qu’il était dans l’intention de Jean de les communiquer! Meier écarte aussi avec prudence une possible allusion à la résurrection dans « le troisième jours » (2.1) et l’interprétation qui voit dans les « lendemains » consécutifs (voir notre point 1) une référence voilée aux jours de la création (notamment défendue par l’éminent exégète dominicain Maire-Émile Boismard, retenue dans une note de la TOB). Meier écarte également une possible référence au « banquet de la sagesse » (mais présente en Jn 6; voir Pr 9.5-6; Siracide 24.19, 21; 15.3; note 238, p. 1228) et à l’eucharistie (« il est difficile de montrer que Jean avait une [telle] référence […] en vue dans 2.1-11 », note 235, p. 1228).

3. Avec Meier, nous ne sommes pas (ou plus) dans une logique rationaliste du « c’est impossible, donc » soit tout est mythique et symbolique, soit on va chercher sous les miracles des explications naturalistes et rationnelles (voir Meier p. 751-752). Premièrement, en tant qu’historien, Meier ne se prononce pas sur la réalité et la nature des miracles. Son objectif est de « déterminer si quelques-uns des récits de miracle des évangiles remontent à des événements que des contemporains de Jésus (ou parfois les croyants venus juste après) considéraient comme miraculeux, et de déterminer si ces récits reflètent bien ces événements (même si c’est en laissant un peu de place à l’imagination) » (p. 751). Deuxièmement, contrairement au récit des noces à Cana que j’ai choisi comme exemple de récit inventé, Meier analyse bien d’autres récits au sujet desquels il conclut en faveur de l’historicité. Sans être exhaustif, c’est par exemple le cas du récit « du paralytique descendu à travers le toit (Mc 2.1-12 et //) et [celui de] l’homme paralysé près de la piscine de Bethzatha (Jn 5.1-9) […]. » Même conclusion pour la guérison de l’aveugle Bartimée (Mc 10.46-52), celui de Bethsaïde (Mc 8.22-26) et l’aveugle de naissance (Jn 9). D’autres cas sont difficiles à évaluer, tels les cas de « lèpre » en Marc 1.40-45 (et //) et Luc 17.11-19. Parmi les résurrections, Meier estime que « le récit de la fille de Jaïre (Mc 5.21-43) remonte à un événement du ministère de Jésus […] [bien qu’il ne soit] pas facile de dire si cet événement a été perçu au départ par les disciples de Jésus comme un miracle de résurrection ou simplement comme une guérison qui, seulement plus tard, a été réinterprété comme résurrection » (p. 753-754). Globalement, il est concevable d’après l’attestation multiple des sources et des formes que les « disciples [de Jésus] pensaient qu’il avait ressuscité des morts » (p. 754). Quant aux récits étiquetés (incorrectement selon Meier) « miracles de la nature » (l’eau changée en vin, marche sur les eaux, tempête apaisée, malédiction du figuier stérile, pêche miraculeuse, multiplication des pains), ils « semblent avoir été créés par l’Église primitive pour servir différents objectifs théologiques », à l’exception de la multiplication des pains qui « semble remonter à un repas de Jésus particulièrement mémorable et symbolique, célébré avec une grande foule au bord de la mer de Galilée » (p. 754). Bref, il n’y a pas de tout ou rien. Il y a les exigences d’une enquête historique sérieuse, méthodique et rigoureuse.

* * *

Brève discussion

Je suis bien entendu tout à fait conscient que pour certains lecteurs, notamment de tendance évangélique mais pas seulement, il soit difficile voire inconcevable d’admettre qu’un récit soit une fiction littéraire, une création théologique sans référent historique déterminé. Les moins conservateurs reconnaîtront peut-être la valeur des arguments de Meier (ou bien arriveront aux mêmes conclusions à travers leurs propres travaux) et se borneront à penser que le fait historique sous-jacent a été remodelé, voire mis en scène par l’apôtre Jean, sans qu’il soit pour autant nécessaire de remettre en cause le miracle. C’est une position tout à fait respectable qu’adopte Meier pour d’autres récits à partir desquels il pense pouvoir dégager une tradition primitive susceptible de remonter au Jésus historique.

L’excès des évangéliques consistera sans doute à penser qu’il doit toujours en être ainsi (surtout pour les évangiles). En fait, la question n’est pas de savoir si un récit à été modelé, construit, mis en scène, ou pas, puisque les évangiles se présentent à nous, qu’on le veuille ou non, comme des constructions littéraires modelées par la foi et la (les) théologie(s) des premiers chrétiens (je pense que la plupart des universitaires évangéliques le savent bien). La question est de savoir s’il est possible à partir de ce stade finale du développement de la tradition évangélique et du travail de rédaction de déterminer ce qui se rapporte à des événements de la vie de Jésus et à quel degré d’historicité, que ce soit au niveau des actes, des paroles ou des idées. À cette question, il est possible de répondre par l’affirmative, même si certains points de méthode et, surtout, les résultats de l’enquête resteront discutés.

Les résultats d’une enquête historique demeurent bien sûr hypothétiques. Il est après tout possible qu’il y ait eu des noces à Cana au cours desquelles Jésus a accompli un miracle. Seulement, le modelage stylistique et rédactionnel de Jean a pris tant de place dans cette petite portion de texte qu’il a fini par « éclipser » aux yeux de l’historien toute trace d’un fond historique. C’est pourquoi avec une prudence toute mesurée Meier écrit en conclusion de sa recherche que nous n’avons pas d' »indications suffisantes » en faveur de l’historicité. Parce que, après tout, un récit comme celui de la résurrection de Lazare (Jn 11) renferme lui aussi des éléments stylistiques et rédactionnels johanniques. Toutefois, si Meier est beaucoup plus optimistes sur son historicité, c’est que ce long récit (45 versets!) renferme suffisamment de matière pour que l’on puisse en reconstituer plusieurs étapes rédactionnelles et dégager le récit primitif (hypothétique!) situé à la source de cet « imposant chef d’oeuvre théologique » (Meier).

 
40 Commentaires

Publié par le 1 juin 2012 dans Nouveau Testament

 

Étiquettes : ,

40 réponses à “Les noces de Cana: une création littéraire?

  1. Benoit

    2 juin 2012 at 07:25

    [Benoît, j’ai rassemblé tes trois messages en un]

    Bonjour Georges!

    je suis très flatté et reconnaissant que tu prennes la peine d’écrire un article exprès pour moi!!

    C’est en effet du costaud et il va falloir que je l’étudie de très près. Puisque je ne suis plus un « concordiste historique », les questions que tu soulèves ici se posent effectivement pour moi, pour les évangiles comme pour les 11 premiers chapitres de la Genèse.

    Tenter de faire le tri entre les « vrais miracles » et les « miracles fictifs » de Jésus est déjà en soi une démarche très douloureuse, voire hérétique pour l’évangélique que je suis!! Mais je vais honorer l’effort pédagogique qui est le tien en essayant d’évaluer les arguments le plus « objectivement » possible. Seront-ils plus convaincants que le principe d' »univers cognitif » développé par Lamoureux?

    Avant d’aller plus loin, pourrais-tu nous en dire plus sur Meier? Croit-il dans la naissance virginale du Christ? Dans sa résurrection corporelle? Même si je ne veux pas raisonner par « association d’idées » pour évaluer ses arguments, cela nous donnera tout de même une indication. Tu as l’air de dire qu’il reconnaît que certains miracles sont effectivement « surnaturels ». Tu m’en verras fort soulagé!
    ______________________________

    Cher Georges,

    c’est à une évaluation monumentale que tu nous soumets ici!! J’ai eu l’occasion d’avoir entre les mains il y a plusieurs années déjà un livre de Meier, mais j’avoue que j’avais laissé tomber…

    J’ai parcouru ta page concernant les 5 critères d’historicité retenu par Meier. Pourrais-tu nous en dire un peu plus sur la nature de la controverse qui l’oppose à ce M. Bourgeois stp?

    Tu dis que Meier en tant qu’historien ne se prononce pas sur la réalité des miracles. Sa démarche n’est donc pas une démarche de croyant, si j’ai bien compris? Donc il ne peut pas se prononcer sur la naissance virginale par exemple?

    Sa démarche consiste-t-elle à nous indiquer quels épisodes des évangiles ne seraient probablement pas des miracles selon ses critères?
    ______________________________

    OK, je viens de découvrir sur ton blog la controverse avec Nicolas Bourgeois. Tu te sers de Meier pour défendre l’historicité de Jésus.

     
    • Georges Daras

      2 juin 2012 at 16:45

      Bonjour Benoît!

      Je vois avec quelle rapidité tu t’es proposé de poster un premier commentaire sur ce modeste article. Modeste, parce que je ne fais pour l’essentiel que rapporter le travail d’un autre; et c’est lui faire bien trop honneur que de vouloir l’étudier en détail. Je propose à la lecture et à la réflexion, pas à l’étude! Alors, prends tes aises, et faisons un bout de chemin ensemble.

      Si tu as effectivement été l’élément déclencheur de cet article, la lecture de Meier m’a été très enrichissante et profitable! Je ne suis même pas sûr d’avoir jamais lu ce qu’il écrivait à propos de Cana! C’est pour dire que l’accomplissement de certaines tâches comme approfondir et mettre ses idées au clair nécessitent parfois un élément déclencheur, une provocation.

      En deux endroits de mon article (dans mon intro qui t’es adressée et au point 5), tu remarqueras que je dis qu’il manque encore une réflexion de fond que j’espère bientôt développer. Par exemple, je trouve malheureux, même si tu utilises des guillemets, de penser qu’il est ici question de <<faire le tri entre les “vrais miracles” et les “miracles fictifs” de Jésus>>. Qu’un récit de miracle ne soit pas historique ne doit pas conduire à croire qu’il n’est pas vrai. C’est un réflexe bien évangélique que de confondre « vérité » et « historicité ». Ce genre de chose est un exemple de ce qui doit faire partie de la réflexion de fond.

      En réalité, il n’y a pas de quoi s’alarmer outre mesure des analyses de Meier. Le seul point posant à mon avis vraiment problème est celui d’admettre que le récit est une création littéraire (voir le point 4 de mes remarques personnelles). Si tous les évangéliques refuseraient une telle opinion (pas seulement eux), une partie des universitaires pensera qu’il y a quand même une bonne part qui est due à la main de Jean. Ce phénomène est en réalité assez banal. Il suffit seulement de comparer la manière dont s’exprime Jésus dans les synoptiques d’un côté et chez Jean de l’autre pour se dire qu’il est impossible que la seule personne du Jésus historique ait pu tenir à la fois l’un et l’autre style de langage. On remarquera aussi que chez Jean, la thématique du Royaume de Dieu est très peu présente, alors qu’elle abonde dans les évangiles synoptiques; et que dire du fait qu’il n’y ait aucun exorcisme chez Jean? Bref, ces faits nous obligent à tenir compte du rôle de chacun des évangélistes en tant qu’auteurs/créateurs/croyants/théologiens, sans qu’il soit possible de simplement penser qu’ils ne font que « décrire » des événements ou rapporter des anecdotes historiques.

      Quant à ce que croit Meier en tant que croyant et prêtre catholique, je ne peux pas le savoir. Son oeuvre est strictement historique. Il ne se prononce pas sur la possibilité des miracles (point 3 de mes remarques personnelles), a fortiori sur la naissance virginale et la résurrection (qui n’est pas abordée).

      Il est vrai que les ouvrages de Meier sur le Jésus historique sont plutôt des ouvrages de consultation, ce ne sont pas des romans à lire du début à la fin. Tu lis ce qui t’intéresse.

      Pour ne pas créer de malentendu, je vais placer la brève présentation des critères dans une note. Laissons Nicolas Bourgeois qui n’a rien à faire dans notre discussion.

       
  2. Benoit

    2 juin 2012 at 19:56

    bonsoir Georges,

    tu écris « qu’un récit de miracle ne soit pas historique ne doit pas conduire à croire qu’il n’est pas vrai. C’est un réflexe bien évangélique que de confondre “vérité” et “historicité”. Ce genre de chose est un exemple de ce qui doit faire partie de la réflexion de fond. »

    Ce point mérite en effet d’être discuté.

    Je ne pense pas confondre historicité et vérité, car je crois tout à fait que Dieu peut nous parler à travers un récit non historique, et qu’il est donc « vrai ». Le récit du déluge par exemple, puisque nous en avons pas mal débattu sur mon blog.

    Mon problème me paraît d’un autre ordre. Jean a écrit (Jean 2:11): « Tel fut le commencement des miracles que fit Jésus. Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. » Il est là question de notre miracle aux noces de Cana. Je suis peut-être simpliste, mais il me semble que Jean affirme tout simplement avoir été témoin de ce miracle et/ou connaître de tels témoins oculaires. S’il n’y a pas eu de miracle, pourquoi Jean l’affirme-t-il?

    Mais tu vas me dire que je passe complètement à côté de l’argumentation de Meier!

    Même si je ne crois pas à un récit journalistique des oeuvres de Jésus, avoue qu’il y a de quoi rester pour le moins perplexe devant la conclusion de Meier:

    « “Mais la question qui se pose est de savoir si nous avons des indications suffisantes permettant de dire que le Jésus historique a effectivement accompli à Cana de Galilée un acte extraordinaire sur de l’eau et du vin, un acte que ses disciples et lui-même considéraient comme un miracle. À cette question, la réponse doit être négative.”

    Les auteurs du récit du déluge se sont exprimés plusieurs siècles après, pas Jean.

    Il y a tout simplement pour moi un problème d’honnêteté de la part de l’apôtre de l’amour, et de l’amour de la vérité… réflexe évangélique! désolé.
    ________________________________

    Je réfléchis aussi à la démarche de Meier et à ses cinq critères.

    Pour qu’un miracle soit probablement authentique, il faut donc qu’il ait embarrassé l’église primitive, qu’il n’ait pas pu dériver du judaïsme de son temps et des premiers chrétiens, qu’il soit confirmé par plusieurs évangiles et qu’il ait produit une opposition de la part des opposants de Jésus.

    Je veux bien que ces critères renforcent l’historicité. Mais je ne vois pas vraiment leur caractère “nécessaire et suffisant”.

    Il est certainement bon et même nécessaire pour un historien de se fixer un cadre et une méthodologie. Ma question est: la méthodologie de Meier est-elle personnelle? A-t-elle fait ses preuves?

    Il me semble que tout au plus, les conclusions auxquelles Meier devrait aboutir devraient être positives et non négatives. Si un récit d’un miracle vérifie les critères, alors cela renforce son caractère historique. Mais je ne vois pas comment à partir de l’absence de réponse à ces critères, il peut aboutir à une négation. Cela ressemble à un argument par ignorance.

    Je ne vois pas bien pourquoi un miracle devrait rentrer FORCÉMENT dans ces catégories. Si un miracle ne dérange pas l’église primitive, rentre dans le cadre du judaïsme et de l’église primitive et qu’il n’est raconté que par un seul apôtre, eh bien soit!, cela ne me paraît pas suffisant pour le mettre en doute!

     
    • Georges Daras

      2 juin 2012 at 22:07

      Cher Benoît,

      Merci pour ces réflexions et tes remarques.

      1. Sur la confusion entre « vérité » et « historicité », il est vrai que tes propres articles témoignent d’une nette distanciation. C’est davantage une question de vocabulaire et que chaque chose trouve sa place dans une vision d’ensemble. Passons.

      2. Sur la question du témoignage oculaire (direct ou indirect). Il n’y a pas de doute qu’il y ait à la racine des évangiles des témoignages oculaires. Toutefois, de l’époque de Jésus aux évangiles tels que nous les connaissons se sont écoulées de 30/40 à 70/80 années, au cours desquelles se sont formées les différentes traditions évangéliques autour du kérygme primitif (la « proclamation, prédication » des apôtres comprenant les affirmations fondamentales de la foi sur Jésus et le salut), elles ont circulé oralement, se sont développées, ont sans doute formé des recueils écrits (où ont pu puiser les évangélistes), ont été modelées et intégrées dans la trame d’un récit élaboré, cohérent, que l’on appelle les évangiles (il faudrait encore parler d’autres paramètres, géographiques, sociaux, etc.). Tu peux par conséquent facilement comprendre que la notion de « témoignage oculaire » (direct ou indirect) est toute relativisée, et qu’elle ne peut d’aucune manière s’appliquer directement aux évangiles dans leur forme actuelle. Ce que montrent les études sur les évangiles en général, et l’étude du récit de Cana à sa manière, c’est que les évangélistes (et leurs éventuels continuateurs) ne sont pas de simples rapporteurs mais de vrais auteurs, créateurs, metteurs en scène, narrateurs, théologiens, même au point de créer des paroles, des récits dans le but d’approfondir, d’éclairer, de déployer toutes les profondeurs et les richesses contenues dans le Christ Jésus (enfin je n’oblige personne à me rejoindre sur ce dernier point!).

      3. Sur la question des critères. Les critères demanderaient un débat en soi, débat que je n’avais pas l’intention d’aborder puisque l’article n’en parle pas, se limitant à une analyse littéraire et théologique. Mais je vais quand même brièvement te répondre. Premièrement, Meier n’a pas inventé ces critères. Ils sont, d’une part, issus en partie de la discipline historique, et proviennent d’autre part de l’effort d’écoles et de générations d’exégètes pour appliquer au Nouveau Testament une critériologie qui lui soit en adéquation. Meier hérite de ces critères, il les rassemble, les discute, les met en oeuvre, etc. Il n’est pas naïf, il sait bien quelles sont leurs forces et leurs faiblesses, qu’il n’y a rien de systématique et de programmé, et que les résultats obtenus ne peuvent conduire qu’à des probabilités plus ou moins fortes. L’historien fait avec ce qu’il peut et du mieux qu’il peut. Deuxièmement, écartons un malentendu: il n’est pas nécessaire qu’un récit rassemble tous les critères pour qu’il soit jugé historique! Ensuite, certains critères ne s’appliquent pas à tous les types de récits. Par ex., le critère d’embarras n’a rien à faire avec un récit de miracle, sauf si dans un de ces récits Jésus avait lamentablement échoué de guérir un malade, de ressusciter un mort ou d’apaiser une tempête. Un tel récit serait vraiment embarrassant, et il serait pour le moins miraculeux qu’il nous soit parvenu à travers plusieurs sources indépendantes! Cet exemple est évidemment absurde… Mais enfin, tu m’as compris.

      PS: je ne vois pas ce que vient faire ici le principe d’ »univers cognitif » développé par Lamoureux, que tu as évoqué dans ton précédent message.

      PPS: j’ai trouvé une interview de Meier datant de 1997. Elle répondra peut-être à certaines de tes interrogations: « Finding the Historical Jesus.« 

       
  3. Benoit

    3 juin 2012 at 18:13

    Bonsoir Georges,

    merci pour tous ces efforts d’explication.

    Dans ton dernier message, tu as écrit:

    « Par exemple, je trouve malheureux, même si tu utilises des guillemets, de penser qu’il est ici question de ‘faire le tri entre les “vrais miracles” et les “miracles fictifs” de Jésus’.  »

    J’aurais peut-être dû dire: « faire le tri entre les miracles que Jésus a vraiment réalisés, et ceux que les auteurs des évangiles lui auraient attribués sans qu’il les ait réellement accomplis. »

    Voici ce que Denis Lamoureux, évangélique non inérrantiste d’un point de vue historique a écrit:

    « Certains chrétiens craignent que de concéder que la Bible a été écrite dans une science ancienne, cela les placera sur une « pente savonneuse » qui les conduira à une interprétation libérale des Ecritures, et leur fera même perdre la foi. Dit grossièrement, l’argument est le suivant: si les affirmations de la Bible à propos de la nature ne sont pas scientifiquement, historiquement et littéralement exactes, alors les miracles et la résurrection de Jésus ne le sont pas non plus. C’est une préoccupation légitime. Pourtant, le domaine de compétence cognitive agit comme des « freins herméneutiques » sur cette pente fatale. Comme nous l’avons fait remarquer, les individus vivant au premier siècle étaient certainement capables de voir que de l’eau s’était changée en vin ou pas, qu’un paralytique s’était levé et avait marché, qu’un aveugle né pouvait à présent voir. Pour une génération qui avait connu beaucoup de crucifixions, il était tout à fait dans leur compétence cognitive de savoir qu’un homme : Jésus avait été crucifié et qu’il était ressuscité. Sans aucun doute, être compétent afin de saisir de tels faits est beaucoup plus important pour la foi chrétienne que des faits de nature scientifique à propos de la structure, du fonctionnement et de l’origine du monde. »

    Ce principe, comme je l’ai déjà écrit sur mon blog m’est d’une aide précieuse dans mon analyse des différents arguments concernant l’historicité des récits du NT, et des miracles de Jésus en particulier.

    OK, « de l’époque de Jésus aux évangiles tels que nous les connaissons se sont écoulées de 30/40 à 70/80 années ». J’avoue que ce délai ne me paraît pas vraiment suffisant pour que Jean, qui a probablement vu lui-même le miracle et son impact parmi les disciples. J’imagine que si j’avais assisté à une telle scène, je ne l’aurais pas oubliée. Donc évoquer le temps écoulé entre l’évènement et le récit ne me convainc pas.

    C’est rassurant en effet de savoir que Meier n’est ni l’inventeur ni l’unique utilisateur de ces 5 critères d’historicité.

    Si je suis ton raisonnement, le fait de penser que ce miracle n’a pas eu lieu ne repose pas sur les 5 critères d’historicité de Meier, mais uniquement de l’analyse littéraire et théologique du texte. C’est un fait, en même temps que Jean raconte le miracle, il donne sa signification théologique. Qu’il arrange le récit dans ce but ne fait aucun doute.

    Il y a quelque chose qui me titille dans la démarche de Meier. Je ne sais pas si je vais arriver à l’exprimer correctement. Il aborde les évangiles au regard de l’historien, en mettant de côté tout regard de foi sur le texte.

    En tant que croyant, il y aurait déjà à s’interroger sur ce présupposé « méthodologique », et surtout sur les conséquences que l’on peut tirer d’une telle étude.

    Il ne peut pas confirmer que le miracle a eu lieu, mais il peut nous expliquer que tel ou tel miracle est très improbable.

    Je suis de ceux qui pensent qu’un miracle ne pourra jamais ni être démontré ni être contredit par la science. Il faut toujours le regard de la foi pour accepter la réalité du miracle. Pour le sceptique, il sera toujours un phénomène inexpliqué, « quand bien même un mort ressusciterait ».

    J’ai donc le sentiment que la démarche de Meier est biaisée: « il ne peut pas affirmer que le miracle a eu lieu, mais il peut affirmer qu’il n’a pas eu lieu », si je pousse un peu le bouchon.

    C’est pour cela que j’ai qualifié sa démarche de « raisonnement par ignorance ».

    C’est vraiment le sentiment que me donne sa conclusion:
    “Mais la question qui se pose est de savoir si nous avons des indications suffisantes permettant de dire que le Jésus historique a effectivement accompli à Cana de Galilée un acte extraordi-naire sur de l’eau et du vin, un acte que ses disciples et lui-même considéraient comme un miracle. À cette question, la réponse doit être négative.” (p. 730)

    A-t-il les indications suffisantes?
    La vraie question est: pourra-t-on les avoir jamais si on aborde les textes sans tenir compte des pouvoirs surnaturels de Jésus?

    De toute façon, Meier ne conclura jamais positivement en faveur du miracle, il se l’interdit. Alors pourquoi ne s’interdit-il pas la négation de celui-ci? (Ou sa très faible probabilité, la nuance est réelle mais assez faible).

    On se demande là aussi si la mise à part des « miracles de la nature » ne repose pas sur un a priori d' »incrédulité ». Des miracles trop extraordinaires pour être honnêtes?

    « Quant aux récits étiquetés (incorrectement selon Meier) “miracles de la nature” (l’eau changée en vin, marche sur les eaux, tempête apaisée, malédiction du figuier stérile, pêche miraculeuse, multiplication des pains), ils “semblent avoir été créés par l’Église primitive pour servir différents objectifs théologiques”, à l’exception de la multiplication des pains qui “semble remonter à un repas de Jésus particulièrement mémorable et symbolique, célébré avec une grande foule au bord de la mer de Galilée” (p. 754). »

     
    • Georges Daras

      3 juin 2012 at 23:31

      Bonsoir Benoît,

      1. Il me semble que plane comme un malentendu, ou un défaut de compréhension. J’ai fait un petit recensement des endroits où se manifeste ce malentendu (je souligne en gras):
      – Si je suis ton raisonnement, le fait de penser que ce miracle n’a pas eu lieu […]
      – Il ne peut pas confirmer que le miracle a eu lieu, mais il peut nous expliquer que tel ou tel miracle est très improbable.
      – J’ai donc le sentiment que la démarche de Meier est biaisée: “il ne peut pas affirmer que le miracle a eu lieu, mais il peut affirmer qu’il n’a pas eu lieu”, si je pousse un peu le bouchon.
      – De toute façon, Meier ne conclura jamais positivement en faveur du miracle [etc.]

      Il y a une distinction à faire entre les faits tels qu’ils se sont réellement déroulés d’une part et les récits bibliques d’autre part. Meier ne se demande pas si un miracle a réellement eu lieu ou non, mais si le récit est susceptible d’attester un évènement interprété comme tel. Autrement dit: il ne se focalise pas sur le miracle en soi, mais sur le récit qui le met en scène; il ne disserte pas sur la possibilité du miracle, mais évalue l’historicité du récit. Ce sont deux plans différents. Ce qui intéresse Meier c’est de savoir si un récit est historique ou pas, et non de déterminer la réalité du miracle.

      Pour résumer, s’il est impossible à l’historien de se prononcer sur la réalité d’un miracle, il est par contre possible d’évaluer l’historicité d’un récit, que ce soit un récit de miracle ou autre.

      2. Ensuite, le présupposé méthodologique de Meier (qui est celui de tout historien) laisse tout à fait la place à une vision croyante, une vision de foi. Il ne faut pas confondre les deux plans: le plan de l’histoire et celui de la foi. Un historien pourra dire si tel événement s’est produit. Mais il ne pourra pas dire que cet événement est un miracle, parce que la notion de miracle découle d’un jugement porté sur cet événement. L’historien pourra tout au plus préciser que cet événement a été vu et interprété par Jésus et ses premiers disciples comme un miracle, ou comme un « signe ».

      3. Ensuite, penser que Jean ait été un témoin oculaire de la scène à Cana est défendable, mais cela demeure une supposition. Toutefois, les auteurs bibliques démontrent à de nombreuses reprises dans leurs récits qu’ils sont capables de décrire des scènes et de rapporter des monologues intérieurs sans qu’ils aient besoin de témoins. Cela relativise l’idée qu’il faut forcément des témoins oculaires à chaque paragraphe ou verset pour que les récits puissent fonctionner. Cela fait partie de la liberté et de la créativité littéraire dont font preuve les auteurs bibliques, et je pense que c’est également le cas des évangélistes (dans une moindre mesure toutefois que des récits comme Gn 1-11 par ex.; mais c’est beaucoup plus évident à mes yeux dans les récits de l’enfance de Jésus, Mt 1-2 et Lc 1-2, c’est pourquoi j’aimerais écrire quelque chose là-dessus).

      4. Ensuite, le problème avec l’utilisation de la notion d’univers cognitif de Lamoureux (que je ne mets pas en cause; je parle de son utilisation dans ce cas particulier), c’est qu’il l’applique directement sur la réalité des faits, en-deçà des récits bibliques. C’est ce qu’il fait quand il dit que les personnes présentes à Cana et témoins du miracle « étaient certainement capables de voir que de l’eau s’était changée en vin ou pas, qu’un paralytique s’était levé et avait marché, qu’un aveugle-né pouvait à présent voir« . Bien sûr qu’ils étaient capables de faire la différence entre l’eau et le vin, et de constater qu’un paralytique ou un aveugle ne l’étaient plus. Toutefois, on n’est plus en train de parler des récits bibliques. Par ce qu’il affirme, Lamoureux présuppose que le récit de l’eau changée en vin (pour ne prendre que cet exemple) décrit un événement historique. En affirmant comme une évidence que les témoins de Cana étaient capables de faire la différence entre l’eau et le vin (ce qui n’est pas contestable), non seulement il historicise le récit (en brodant sur ce qu’auraient pu faire ou non les personnages du récit), mais il suppose pratiquement que le miracle (ou ce qui est interprété comme tel) a été vérifié en vertu de la notion d’univers cognitif. Le problème découle du fait que, concernant le déluge, la notion d’univers cognitif est appliquée aux auteurs des récits bibliques, tandis que pour Cana, elle est appliquée aux personnages du récit comme s’ils faisaient indistinctement partie de la même réalité que les auteurs bibliques, la réalité extérieure aux textes. Et tout comme l’univers cognitif des auteurs bibliques se reflète sur leurs récits, l’univers cognitif des témoins de Cana agit comme un facteur de vérification reporté sur le récit, puisqu’il est évident qu’ils pouvaient faire la différence entre de l’eau et du vin. Cela me semble quelque peu fallacieux!

      De plus, j’ai l’impression qu’en appliquant la notion d’univers cognitif aux miracles et à la résurrection, Lamoureux en fait des objets de savoir, dans le but de sauvegarder la foi (que ferait soi-disant perdre l’interprétation soi-disant libérale de la Bible). Or, tu écris toi-même que la science ne peut ni confirmer ni infirmer les miracles, a fortiori la résurrection. Comment alors malgré cela prétendre savoir? Comment Lamoureux prétend-t-il sauvegarder la foi grâce à l’univers cognitif?

      5. Enfin, en ce qui concerne les catégories de miracle, elles sont définies sur la base des textes, pas sur leur degré de vraisemblance. C’est comme quand on dit qu’il est ici question d’une résurrection, là d’une guérison, ailleurs d’un exorcisme, etc.

      Edit: une dernière chose: une trop grande focalisation sur la réalité du miracle de Cana et la possibilité des miracles en général risque de nous distraire de l’approche de Jean en la matière, qui est toute différente: non seulement le miracle est opéré discrètement et indirectement, mais d’un point de vue narratif, son effectivité est également signalée de cette manière indirecte et discrète (non pas: « …et l’eau se changea en vin » mais « quant l’organisateur du repas goûta l’eau changée en vin… »). De même que le but du récit n’est pas centré sur le miracle, mais sur la foi des disciples vers lequel il pointe en tant que « signe ».

       
  4. Boulipoticap

    3 juin 2012 at 23:20

    Bonjour,

    Je suis moi aussi convaincu qu’il faut distinguer ce qu’on appelle aujourd’hui réalité – ou historicité – d’avec ce qui est de l’ordre de la construction littéraire dans les évangiles, et partout ailleurs. Vous le faites très bien ici.

    Au fond, Jésus, en parlant avec des paraboles, n’a-t-il pas utilisé le même genre d’approche ?

    Cependant, en parlant de « particularités littéraires… du quatrième évangile », vous passez à coté de quelque chose, il me semble.

    Concernant les évangiles – et pas seulement le quatrième, même si c’est encore plus net pour le quatrième – il me semble que l’on peut parler de qualité littéraire, c’est à dire que le style, le texte, la lettre, possède une capacité à évoquer des choses qui vont par delà le texte.

    Même si les analyses que vous faites sur la symbolique – les 3 jours, la mère, etc – sont justes, il me semble que ce qui nous permet de rejoindre réalité et vérité, par delà la symbolique, est cette qualité. On peut parler d’art, de poésie… tous les mots sont imparfaits en ce domaine.

    Il ne faut surtout pas conclure de tout cela que la réalité historique ne serait pas importante. Il faut surtout comprendre comment un récit en rend compte. Jean – et Dieu, avec lui ? – propose une certaine façon.

    Et, comme il termine son évangile en disant « Jésus a fait encore bien d’autres choses : si on les écrivait, une à une, le monde entier ne pourrait, je pense, contenir les livres qu’on écrirait »… n’allons pas plus loin que la façon qu’il nous donne, à moins que Jésus Christ ne nous le permette. Jésus reste le seul chemin, pas la qualité littéraire.

    Cordialement.

     
    • Georges Daras

      4 juin 2012 at 15:05

      Bonjour,

      Merci pour votre commentaire.
      Je vois que nous sommes d’accord sur un point capital, à savoir la distinction entre réalité, historicité et construction littéraire. Je vous rappelle toutefois que je ne fais essentiellement que rapporter les analyses de Meier. Aucun mérite ne me revient, sauf en ce qui concerne les notes personnelles.

      Vous avez raison pour les paraboles de Jésus du point de vue du principe, c’est-à-dire que vérité n’équivaut pas à historicité. Mais ici, le principe rejoint le genre littéraire, à savoir le genre parabolique, clairement délimité, ce qui n’est pas le cas d’un récit comme celui de Cana, qui fait partie intégrante de la trame narrative globale de l’évangile (alors que les paraboles sont des narrations dans la narration).

      Ensuite, quand je parle des particularités littéraires et théologiques de Jean, c’est seulement pour mettre en évidence ce qui le distingue des synoptiques, ses spécificités (par ex. Jean joue beaucoup sur le double sens des mots, mettant ainsi en oeuvre les stratégies de l’ironie et du malentendu). Je ne porte pas de jugement sur la qualité, que je reconnais par railleurs (le prologue johannique ne saurait laisser insensible!), et je vous rejoins dans ce que vous dites à ce propos.

      Je vous rejoins également quand vous dite qu’il « ne faut surtout pas conclure de tout cela que la réalité historique ne serait pas importante. Il faut surtout comprendre comment un récit en rend compte« .

      Cordialement

       
  5. Benoit

    4 juin 2012 at 08:22

    Bonjour Georges,

    Tu m’introduis dans de nouvelles catégories intellectuelles.
    Les nuances sont subtiles en effet.

    La différence est ténue entre « reconnaître l’historicité de la guérison instantanée d’un paralytique » par l’analyse du récit et reconnaître la réalité du miracle.

    Il faut que je digère un peu.

     
  6. Benoit

    4 juin 2012 at 20:30

    Bonsoir Georges,

    J’ai encore besoin de quelques éclaircissements à propos de la démarche de Meier. Tes explications sont très claires, mais je ne suis pas sûr d’avoir tout compris.

    1. Tu écris: « Pour résumer, s’il est impossible à l’historien de se prononcer sur la réalité d’un miracle, il est par contre possible d’évaluer l’historicité d’un récit, que ce soit un récit de miracle ou autre. »

    Comment dans un récit qui décrit précisément un miracle peux-tu séparer son historicité de la réalité de ce qu’il décrit, c’est-à-dire le miracle lui même? Comment le récit du miracle pourrait-il être historique, mais pas le miracle?

    Je suis probablement binaire, mais pour moi, un récit est historique s’il décrit ce qui s’est effectivement passé, il est fictif sinon. Comment pourrait-on se prononcer en faveur de l’historicité d’un récit de miracle sans authentifier le miracle lui même? Quelque chose m’échappe. Il va falloir être patient avec moi!

    2. Tu écris: « Un historien pourra dire si tel événement s’est produit. Mais il ne pourra pas dire que cet événement est un miracle. »

    Donc un historien pourra me dire si Marie a accouché de Jésus sans avoir connu d’homme, mais il ne pourra pas me dire si c’est un miracle!!

    Un historien pourra me dire si Jésus a marché sur l’eau, mais il ne pourra pas me dire si c’est un miracle.

    Un historien pourra me dire si ses disciples ont vu Jésus vivant après qu’il ait été reconnu mort et que l’on ait percé son côté, mais il ne pourra pas me dire si c’est un miracle.

    Un historien pourra me dire si Jésus est monté au ciel à la vue de ses disciples, mais il ne pourra pas me dire si c’est un miracle.

    Quelque chose m’échappe.

    3. Tu écris: « Les auteurs bibliques démontrent à de nombreuses reprises dans leurs récits qu’ils sont capables de décrire des scènes et de rapporter des monologues intérieurs sans qu’ils aient besoin de témoins. Cela relativise l’idée qu’il faut forcément des témoins oculaires à chaque paragraphe ou verset pour que les récits puissent fonctionner. »

    Tu marques un point.

    4. « Le problème avec l’utilisation de la notion d’univers cognitif de Lamoureux (que je ne mets pas en cause; je parle de son utilisation dans ce cas particulier), c’est qu’il l’applique directement sur la réalité des faits, en-deçà des récits bibliques. »

    Peut-être que comme moi, il ne comprend pas comment un récit de miracle pourrait être historique sans que le miracle le soit?

    5. « En ce qui concerne les catégories de miracle, elles sont définies sur la base des textes, pas sur leur degré de vraisemblance. »

    Oui, mais comme il est étrange que tous les miracles dont l’historicité est questionnée tombent dans la même catégorie.

    Edit: « Une trop grande focalisation sur la réalité du miracle de Cana et la possibilité des miracles en général risque de nous distraire de l’approche de Jean en la matière …. De même que le but du récit n’est pas centré sur le miracle, mais sur la foi des disciples vers lequel il pointe en tant que “signe”. »

    Là encore je suis très perplexe. Les disciples croient parce qu’ils ont vu le miracle, mais le miracle est secondaire, ce qui compte est la foi des disciples? Donc on enlève l’évènement qui a produit la foi, mais il faut continuer de croire quand même! C’est un peu scier la branche sur laquelle on est assis, non?

    J’ai relu encore une fois ton article. Les arguments pour faire de ce récit de miracle une construction purement littéraire ne me convainquent pas non plus.

    l’histoire a lieu le troisième jour après trois « lendemain », pourquoi pas? Jean aurait arrangé ou pris quelques libertés avec la chronologie pour servir son récit? Pourquoi pas?

    Jésus a très bien pu prendre une certaine distance avec Marie sa mère au cours de cet épisode. A-t-il utilisé précisément cette expression « femme », ou bien Jean met-il cette expression dans sa bouche pour exprimer cette distanciation? À douze ans déjà, il « fallait qu’il s’occupe des affaires de son Père. »

    À plusieurs reprises, il a fallu insister pour que Jésus accomplisse le miracle? Dieu ne nous demande-t-il pas de « chercher et de frapper à la porte »?

    Jean aime bien les récits de commencement, moi aussi 🙂

    Bref, comme tu l’as si bien dit dans une de tes remarques introductives:

    « En fait, la question n’est pas de savoir si un récit à été modelé, construit, mis en scène, ou pas, puisque les évangiles se présentent à nous, qu’on le veuille ou non, comme des constructions littéraires modelées par la foi et la (les) théologie(s) des premiers chrétiens (je pense que la plupart des universitaires évangéliques le savent bien). La question est de savoir s’il est possible à partir de ce stade finale du développement de la tradition évangélique et du travail de rédaction de déterminer ce qui se rapporte à des événements de la vie de Jésus et à quel degré, que ce soit au niveau des actes, des paroles ou des idées. »

    À partir des mêmes éléments, je ne suis pas sûr que tous arrivent aux mêmes conclusions que Meier.

     
    • Georges Daras

      5 juin 2012 at 23:02

      Bonjour Benoît,

      (Je suis ta numérotation)

      1. Reprenons! Dans ce que tu écris, je décèle un présupposé qui t’induit en erreur. Pour te répondre en bref: le récit ne décrit pas de miracle. À nouveau: le récit ne décrit pas de miracle.

      Pourquoi? Parce que le récit, à la base, n’est pas une description. Il est une construction, une élaboration littéraire modelée en fonction d’un certain intérêt théologique. Disons pour faire simple que le récit n’est pas de l’histoire mais de l’histoire interprétée. La notion de « miracle » ne fait pas partie de l’histoire, mais de l’histoire interprétée. C’est-à-dire qu’un événement donné, ce « quelque chose » qui s’est produit, a été vu et interprété comme un miracle, comme un « signe ». Prenons un autre exemple que j’utilise à l’occasion, celui de la mort de Jésus. Comme le récit du miracle, les récits de la mort de Jésus ne sont pas simplement de l’histoire, mais de l’histoire théologiquement interprétée. L’événement de la mort de Jésus sur la croix est en soi un événement de l’histoire. Mais affirmer que Jésus est mort pour nos péchés est une affirmation théologique associée à l’événement historique de cette mort. L’historien ne pourra jamais matériellement démontrer que Jésus est effectivement mort pour nos péchés, mais seulement que Jésus est mort crucifié sous Ponce Pilate. De la même manière, l’historien ne peut pas déterminer si tel événement, ce « quelque chose » qui est arrivé, est un miracle, car la notion de miracle fait partie de l’histoire interprétée et non uniquement de l’histoire dont peut rendre (plus ou moins) compte l’historien.

      Il s’ensuite qu’il est possible de dire que le récit des noces (par ex.) est historique, et qu’il s’est effectivement passé « quelque chose » (de l’eau changée en vin d’après le récit), un « événement » que le récit dans sa dimension interprétative considère comme un « miracle », comme un « signe ». Mais l’historien ne peut pas se prononcer sur ce dernier point, puisqu’il résulte d’une interprétation théologique qui suppose une intervention divine.

      2. Ta remarque est à la fois pertinente et cocasse! On touche un point délicat qui caractérise la Bible. Je réponds en disant: il existe un procédé courant dans la Bible qui consiste à représenter des idées théologiques sous forme de récits narratifs.

      Cela dépend notamment du genre littéraire des récits, que l’historien doit bien sûr tenter de déterminer et en tenir compte. Pour prendre un exemple simple, le genre « parabole » se situe clairement dans la fiction (c’est-à-dire la création littéraire non-historique), même si la parabole emprunte ses éléments à la réalité quotidienne. D’autres récits évangéliques mettent en oeuvre ce même procédé, notamment les récits de l’enfance de Jésus, ce qui est sans doute plus évident chez Matthieu que chez Luc, parce que chez Matthieu on discerne nettement les récits et les thématiques vétérotestamentaires ayant servi de modèles pour élaborer ce que les spécialistes ont coutume d’appeler des compositions midrashiques. En dehors de ces récits particuliers (en raison de leur isolement dans le NT et de leur caractère tardif) que constituent les récits de l’enfance de Jésus, cette manière de faire de la théologie en récits se retrouve ailleurs dans le Nouveau Testament, ce qui est par exemple le cas du récit de la marche sur les eaux et de la tempête apaisée, amplement inspirés par l’Ancien Testament dans un but christologique (les spécialistes ne seront pas d’accord à propos de tel ou tel récit; mais tous le seront pour dire que ce genre de création littéraire existe. Les récits de l’enfance p. ex. font largement consensus).

      Par conséquent, ce que tu présentes dans ta remarque cocasse comme des événements historiques que l’historien pourrait confirmer sont en fait des constructions littéraires et théologiques. Jésus qui marche sur les eaux, c’est de la théologie en récit, tout comme la tempête apaisée. Je ne vais rien dire sur la conception virginale, sinon on va partir dans un autre débat.

      3. Ok.

      4. Je pense avoir répondu à cette question dans le point 1 ci-dessus.

      5. Non, ce n’est pas le cas. Meier passe tous les miracles en revue, et pour chaque catégorie il y a du pour, du contre ou du non-décidable faute d’évidences. Si la majeure partie des « miracles de la nature » sont jugés comme probablement non-historiques mais créés par l’Église primitive, c’est sur la base d’arguments, non sur un rejet a priori du miracle (sinon, Meier ne produirait pas des centaines de pages d’analyse). Par exemple les récits de la marche sur les eaux et celui de la tempête apaisée sont largement construits à partir de passages de l’Ancien Testament, avec des reprises parfois littérales de mots et d’expressions. Quelqu’un pourra bien sûr soutenir qu’il y a quand même un fond historique (lequel?), mais la grande leçon dans cette affaire c’est que l’évangéliste s’est servi de récits de l’AT pour élaborer le sien, non de « témoignages » qu’il n’avait manifestement pas le souci de rapporter; de même que son récit prend tout son sens et sa profondeur théologique quand le lecteur fait les rapprochements nécessaires avec l’AT (implicitement suggérés par l’évangéliste!), et non parce qu’il y aurait une correspondance avec des « faits » (c’est plutôt l’accomplissement des Écritures qui sert de matrice).

      Concernant mon Edit, tu écris: « Là encore je suis très perplexe, les disciples croient parce qu’ils ont vu le miracle, mais le miracle est secondaire, ce qui compte est la foi des disciples? Donc on enlève l’évènement qui a produit la foi, mais il faut continuer de croire quand même! C’est un peu scier la branche sur laquelle on est assis, non? »

      De nouveau, tu abordes le récit avec un a priori historiciste, comme s’il s’agissait d’une description. Mais en réalité, tu es en train de décrire ce qui se passe dans le récit, qui met en jeu des personnages appelés « disciples », dont on dit effectivement qu’ils ont cru parce que Jésus avait montré sa gloire à travers le signe de l’eau changée en vin. Mais tout cela fonctionne au niveau du récit, de sa composition, de sa théologie. Tu ne peux pas dire: puisque les disciples ont cru parce qu’ils ont vu, donc c’est historique, parce que c’est dans le récit qu’il est raconté que les disciples ont cru de ce qu’ils ont vu. La question de l’historicité du récit se situe sur un autre plan de sorte que tu ne peux pas déduire que « c’est historique » (plan de la réalité) parce que les disciples « ont vu » (plan du récit). Dire cela n’équivaut pas à soutenir que le récit est a priori non-historique. La question de l’historicité est secondaire, elle ne s’impose pas a priori. Ce qui s’impose a priori, c’est la réalité littéraire du récit: qu’est-ce que nous avons en ouvrant la Bible? Du texte. Certains de ces textes sont des récits narratifs, d’autre des paraboles, d’autres des lois, d’autres des prophéties, d’autres des enseignements doctrinaux, etc. Quand j’ouvre les évangiles, j’ai des récits, avec des caractéristiques littéraires telles qu’une structure, des personnages, des dialogues, une mise en intrigue, des enseignements théologiques, etc. À partir de là s’effectue l’enquête historique.

      Ensuite, qu’est-ce que cela pourrait vouloir dire pour nous lecteurs qu’un récit comme celui de Cana soit une création littéraire? Qu’il perd du coup toute sa valeur? Qu’il n’a rien à nous apprendre? Qu’il est « faux », « mensonger »? Pour certains oui, pas pour moi. Pour moi, cela voudrait dire que pour approfondir leur foi et déployer les potentialités théologiques présentes dans l’événement Jésus-Christ (tout cela n’est pas donné d’un coup), les évangélistes (et les traditions variées qui les précèdent) ont pu produire, à la lumière de l’Ancien Testament et par le moyen de la narration, des récits littéraires qui, quoique créés, ne sont pas moins susceptibles de communiquer et de transmettre un contenu de foi et des enseignements au sujet de Jésus-Christ et de son oeuvre. Ces récits n’auraient aucune valeur pour notre foi seulement s’ils avaient créé l’objet même de cette foi et les enseignements fondamentaux qui s’y rattachent, à savoir la personne même de Jésus-Christ et la proclamation apostolique de la bonne nouvelle du salut (le kérygme). À partir du moment où une création littéraire se trouve greffée sur ce fondement, qu’elle se situe dans son prolongement comme une de ses ramifications, qu’elle vit de sa sève telle une branche sur le tronc qui la supporte, je ne vois pas en vertu de quoi elle perdrait toute valeur selon qu’elle ne rapporterait pas quelque chose d’historique. Car, en vérité, elle est historique, mais de manière dérivée: comme elle puise sa vérité du fondement, elle participe également de son historicité. Je dirais même que les choses sont bien mieux dites, avec davantage d’aise et d’art, infiniment plus de profondeur et de richesse quand on ajoute à la pâte fondatrice le levain de la fiction! (Cette réflexion mériterait d’être davantage développée. Pour l’illustrer, je l’appliquerai éventuellement au récit de Cana quand je me serai un peu reposé d’une si longue et éprouvante tirade [qui était en fait encore plus longue à l’origine]!)

      Enfin, que les arguments de Meier ne te convainquent guère (merci pour ton assiduité à la lecture!), ce n’est après tout pas un problème. Meier lui-même écrit p. 1230 de son second volume, note 254: « J’ai conscience qu’en attribuant l’ensemble de 2, 1-11 à la création de l’évangéliste je vais à l’encontre du consensus des spécialistes de Jean, qui voient, sous-jacente au récit actuel, quelque source consistante […]« , après quoi Meier résume point par point ce qui d’après lui rend ce consensus moins certain. Par contre, il y aurait à mes yeux problème quand on viendrait postuler qu’il faut nécessairement (en vertu de je ne sais quel principe supérieur et inviolable) que d’une manière ou d’une autre tous les récits soient historiques. Là, je dis problème, parce qu’un tel présupposé et sa préservation systématique conduiraient inévitablement (d’après moi) à un moment donné ou à un autre à des distorsions, de fausses pistes et des impasses dans l’interprétation de la Bible.

       
  7. Benoit

    6 juin 2012 at 10:54

    Salut Georges,

    Un grand merci pour ta patience et ta pédagogie.

    Je commence à mieux cerner la démarche (cela ne veut pas dire que j’y adhère). Il faut reconnaître qu’elle est largement anti-intuitive. Affirmer que le récit des noces de Cana ne décrit pas de miracle en surprendra déjà plus d’un, mais je comprends ce que tu veux dire (même si je ne suis pas d’accord).

    Donc le récit des noces de Cana ne décrirait pas un miracle, mais serait une construction littéraire et théologique. Tu fais toi même la comparaison avec la signification théologique de la mort de Jésus: « L’historien ne pourra jamais matériellement démontrer que Jésus est effectivement mort pour nos péchés, mais seulement que Jésus est mort crucifié sous Ponce Pilate. »

    Cela ne me pose aucun problème de compréhension et d’acceptation. Pour autant, le récit de Cana ne rentre pas pour moi dans la même catégorie.

    Les auteurs des évangiles, en affirmant que Jésus est mort pour nos péchés, s’appuient sur un fait historique que personne (sauf quelques centaines de millions de musulmans…) ne conteste pour en donner une interprétation théologique. On accepte ou pas cette interprétation, mais tout lecteur a conscience qu’il s’agit d’une interprétation théologique d’un fait historique.

    La différence avec l’interprétation de la mort de Jésus est que par cette « méthode historique », on ne garde que la signification littéraire et théologique, mais on considère comme non historique « l’évènement dans le récit » sur lequel la signification est bâtie. L’historicité de l’évènement est considérée comme secondaire.

    Il faudra donc que tu trouves un autre exemple…

    Tu écris: « De la même manière, l’historien ne peut pas déterminer si tel événement, ce “quelque chose” qui est arrivé, est un miracle, car la notion de miracle fait partie de l’histoire interprétée et non uniquement de l’histoire dont peut rendre (plus ou moins) compte l’historien. »

    C’est cette manière de voir que je conteste. Vouloir séparer le plan de l’histoire et de la foi de cette façon ne peut conduire qu’à une seule conclusion. À chaque fois qu’un évènement surnaturel comme la marche sur les eaux sera décrit par le texte biblique, l’historien ne pourra pas faire autrement que de le considérer comme une simple « interprétation ». S’il le considère comme historique, il ne pourra faire autrement que de reconnaître son caractère miraculeux et surnaturel, ce qu’il s’interdit en tant qu’historien. Voilà une « belle » méthodologie pour exclure le surnaturel des Écritures.

    Je suis conforté dans cette objection par la façon dont tu traites mes exemples cocasses, car j’ai pris soin de les choisir pour qu’ils entrent dans la catégorie que je décris ci-dessus.

    Et moi j’aurais bien aimé que tu parles de la naissance virginale. Et j’aurais bien aimé que Meier nous parle de la résurrection!

    Tu écris: « Si la majeure partie des “miracles de la nature” sont jugés comme probablement non-historiques mais créés par l’Église primitive, c’est sur la base d’arguments, non sur un rejet a priori du miracle. »

    Pourrais-tu me citer un miracle de la nature retenu par Meier? Comment le traite-t-il? qu’en conclut-il?

    Là où nous sommes d’accord: « Il y aurait à mes yeux problème quand on viendrait postuler qu’il faut nécessairement (en vertu de je ne sais quel principe supérieur et inviolable) que d’une manière ou d’une autre tous les récits soient historiques. Là, je dis problème, parce qu’un tel présupposé et sa préservation systématique conduiraient inévitablement (d’après moi) à un moment donné ou à un autre à des distorsions, de fausses pistes et des impasses au niveau de l’interprétation de la Bible. »

    Donc je suis à la recherche d’une méthode d’interprétation pour le NT. Le principe d’univers cognitif me convient à ce stade de ma réflexion mieux que la démarche de Meier, parce qu’il n’exclut pas méthodologiquement le surnaturel.

    Je trouve très intéressant ce que tu dis à propos de Matthieu et des « des compositions midrashiques ». C’est une question que j’aimerais creuser.

    Je ne peux qu’être d’accord avec ta remarque des « récits historiques » à priori, parce que je l’ai réalisé avec l’AT et Genèse 1-11 en particulier, et aussi avec les généalogies de Jésus dans le NT faites par Matthieu et Luc. En particulier l’histoire des séries de 14 générations, qui sont clairement des constructions théologiques.

     
    • Georges Daras

      7 juin 2012 at 00:20

      Bonsoir Benoît,

      Merci pour ce nouveau commentaire!

      1. Quand j’ai écrit que le récit « ne décrit pas un miracle » (en insistant sur décrit), c’était une autre manière de dire que le récit, indépendamment des questions d’historicité, est à un degré plus ou moins élevé une construction littéraire. Je ne vois donc pas ce qu’il y aurait de surprenant ou de contre-intuitif à dire cela. Même si on se place au niveau du récit, on se rend également compte que le miracle n’est pas décrit, en dehors de la procédure préparatoire et du constat ultérieur de son effectivité. Donc, que ce soit au niveau de la nature littéraire du récit ou au niveau de son contenu, la notion de description ne convient guère à propos du miracle (contrairement aux jarres en pierre longuement décrites au v. 6).

      2. Tu écris ensuite: « La différence avec l’interprétation de la mort de Jésus est que par cette “méthode historique”, on ne garde que la signification littéraire et théologique, mais on considère comme non historique “l’évènement dans le récit” sur lequel la signification est bâtie. L’historicité de l’évènement est considérée comme secondaire. »
      Ce qui n’a rien d’étonnant, puisque la mort de Jésus est un des événements du Nouveau Testament les mieux attestés historiquement. Ce qui est loin d’être le cas pour certains épisodes ponctuels des évangiles. Ensuite, il ne s’agit pas simplement de ne « garder » que la signification littéraire et théologique, ni de « considérer » l’événement dans le récit comme non-historique. Si une enquête littéraire et historique dûment menée permet de conclure que tel ou tel récit n’est pas historique mais une création de l’Église primitive, il faut alors aussi admettre que ce sont les auteurs mêmes qui ont choisi de formuler un aspect de leur foi et de transmettre un certain enseignement par le biais d’un tel genre de récit. L’historien ne choisit pas le mode d’expression des auteurs bibliques. De plus, il serait erroné de voir dans le fait de la non-historicité d’un récit une sorte de manque ou d’amputation qu’on lui ferait subir. S’il est vrai, toutefois, que la non-historicité dit ce que le récit n’est pas (aspect négatif), il n’est pas moins vrai que, d’un autre côté, elle nous révèle ce que le récit est (aspect positif) quant à son genre littéraire ou au procédé mis en œuvre par les premiers chrétiens pour exprimer et communiquer leur foi.

      3. Ensuite, Meier par sa méthodologie (qui est celle des historiens en général, il ne l’invente pas) n’entend nullement exclure le miraculeux des Écritures. Je vais être bref, car l’essentiel a déjà été dit, à savoir que l’historien en tant qu’historien ne peut ni infirmer ni confirmer que tel événement extraordinaire est un miracle, étant donné que la notion de miracle implique un acte de Dieu. Par conséquent, l’historien ne peut pas davantage dire si tel événement est « une simple interprétation », car cela reviendrait implicitement à infirmer le miracle! Ta crainte est donc infondée. Ne pas être en mesure de prouver une interprétation ne veut pas dire qu’il ne s’agit que d’une simple interprétation.

      Ensuite, tu écris que « s’il le considère [l’événement] comme historique, il ne pourra faire autrement que de reconnaître son caractère miraculeux« . L’historien pourra admettre le caractère inhabituel ou extraordinaire d’un événement, mais en vertu de quoi serait-il forcé d’y « reconnaître » précisément une intervention de Dieu? Il le fera volontiers s’il est croyant ou s’il est disposé à croire, mais ce sera en tant que croyant et non plus en historien. Il me semble que tu ne saisis pas le fait que la notion évangélique de « miracle » implique une intervention divine et qu’il s’agit par conséquent d’une affirmation théologique. Qu’un phénomène soit extraordinaire ou paraît inexpliqué n’implique pas forcément qu’il soit miraculeux! C’est une interprétation, une explication possible, mais pas la seule. Chacun aura la sienne en fonction de ce qu’il croit. L’historien ne peut pas trancher en la matière pour dire quelle explication est la bonne (comment pourrait-il le faire?; selon quels critères objectifs?).

      Si je transpose le problème dans ton propre champ de compétence, c’est comme si tu disais que l’astronomie, la physique ou la biologie devaient forcément amener tous les scientifiques à reconnaître que Dieu a créé le monde. Parmi ceux qui le reconnaissent, c’est en vertu de leur foi qu’ils le font, pas parce qu’ils auraient des preuves indubitables qui permettraient non seulement de prétendre que parmi toutes les hypothèses cosmologiques possibles c’est bien celle qui soutient que Dieu a créé le monde qui est la bonne, mais par voie de conséquence, on pourrait également prouver l’existence de Dieu! Car qui peut prouver que Dieu a créé le monde, prouve par la même occasion qu’il existe. Quand tu utilises la notion biblique de miracle, c’est comme pour celle de création: elles impliquent toutes les deux une intervention divine. Et pour aucune des deux il n’y a d’échelle menant directement au Créateur. Entre les deux, il y a la foi.

      4. Parmi les miracles dits « de la nature », Meier retient comme historique celui qu’il appelle « le don de nourriture à la foule » (parce que le mot « multiplication » [des pains] implique une explication qui n’apparaît pas dans le texte). Meier tente d’abord de reconstituer la forme primitive du récit (qui se décline en 6 versions dans les évangiles); il note les deux influences majeures sur le récit que sont 2 Rois 4.42-44 (Élisée qui nourrit 100 hommes avec 20 pains d’orge) et la pratique cultuelle de l’eucharistie (visible notamment dans le texte grec de Marc 8.6-7 // 14.22-23). Malgré ces influences notables, le critère d’attestations multiples (surtout) et celui de cohérence (essentiellement entre les actes et le discours) permettent d’affirmer qu’il y a un fondement historique, même s’il demeure difficile de préciser les détails de l’événement: « Le récit semble remonter à un repas de Jésus particulièrement mémorable et symbolique, célébré avec une grande foule au bord de la mer de Galilée. » (vol 2. p. 754) Quant à savoir s’il s’est passé quelque chose de miraculeux, Meier ne se prononce pas (mais je suis sûr qu’il pourrait très bien prêcher dessus en paroisse!).

      5. Si tu es intéressé à la notion de midrash concernant les récits de l’enfance, je peux te conseiller comme première lecture pas mal et pas chère ceci. Pour moi, les récits de l’enfance sont aux évangiles ce que Gn 1-11 est pour l’Ancien Testament: théologiquement et littérairement extraordinaires, mais historiquement douteux.

      6. Enfin, concernant la conception virginale, Meier ne se prononce pas sur la réalité de l’événement (je peux te proposer un bon article pour réfléchir sur le sujet [qui n’est pas de Meier]: Conçu du Saint Esprit). Si tu lis l’article, tu reconnaîtras ma position dans le théologoumène. Quant à la résurrection, Meier n’en parle pas du tout (peut-être dans son 5e volume en cours d’écriture, quoique je ne pense pas qu’il en parlera, si ce n’est pour justifier pourquoi).

       
      • gakari1

        9 juin 2012 at 17:14

        Bonjour Georges,

        Je crois que le lien vers vers le résumé du livre Conçu du Saint Esprit n’est pas le bon. Plutôt http://personnel.supaero.fr/moschetta-jean-marc/Concu.pdf

        J’ai terminé sa lecture et c’est intéressant même si les aspects psychologiques me dépassent un peu.

        Yannick

         
      • Georges Daras

        9 juin 2012 at 21:08

        Bonsoir Yannick,

        Merci pour cette précision. Je m’étais trompé de lien. C’est corrigé à présent.

        Georges

         
  8. Boulipoticap

    6 juin 2012 at 12:16

    Bonjour,

    Je voudrais répondre à Benoît, mais de façon un peu différente de Georges. (Donc, je voudrais répondre à la fois à Benoît et à Georges :-))

    Il me semble important de ne pas retrouver une sorte de diktat dans les interprétations, qui voudrait que le récit soit tout-puissant devant une réalité perdue, etc.

    Premièrement, le miracle fait-il partie de la réalité ou de la théologie?

    Pour moi, bien que le récit soit interprétatif, le miracle est entièrement du domaine de la réalité. Pour le décrire, pour en donner une interprétation, on utilise un récit, on utilise des images, mais le miracle est de l’ordre de la réalité.

    Ce point me parait fondamental: si Dieu n’intervient pas dans la réalité, alors tout le christianisme s’écroule.

    Cependant, il est souvent difficile de dire où se place l’intervention de Dieu.

    Par exemple, dans la mort et la résurection de Jésus? Dieu est-il intervenu dans la mort de Jésus? ou « seulement » dans la résurrection? ou dans les deux? Le pardon des péchés a-t-il eu lieu lors de la mort? ou à un autre moment? ou sans moment particulier? A-t-il un rapport, existe-t-il?

    Un chrétien est censé dire que Dieu est intervenu dans la résurrection. Si ceci n’est pas réel, alors il faut changer de religion. Le reste…

    Deuxièmement, sur les 3 jours avant la noce. Ont-ils réellement existé dans la réalité?… Pourquoi pas… rien ne l’empêche.

    Attention toutefois que, dans la réalité, puisque nous nous imaginons être dans la réalité, ce n’est pas les 3 jours qui signifient quelque chose: dans la réalité, c’est Jésus.

    Jésus, s’est mille fois exprimé sur le problème du symbole et de sa présence personnelle (« mille », dans ma façon de m’exprimer, hein, pas dans la réalité). « Le fils de l’homme est maître même du sabbat », par exemple. En sa présence, le sens, les symboles, sont secondaires.

    Donc, si vous dites: « Ah!, il s’est vraiment passé 3 jours, j’ai raison, c’est super significatif » est une erreur. Il faut dire… mais… comment, quoi dire?

    Jean a repris ces 3 jours-là, on suppose que c’est en rapport avec une durée d’ordre divin, on peut raccrocher ça aux temps de la genèse, et donc à partir de là il semble qu’il n’est plus de grande importance que ces 3 jours se soient vraiment passés ou pas (puisqu’on suppose que la nature divine de Jésus, difficilement exprimable, est plus importante que le décompte exact des jours entre truc et chose).

    Si je me résume:

    – Le principe de l’interprétation littéraire ne doit pas devenir un nouveau dogme, sinon il va forcément reproduire les mêmes merdes que l’interprétation littérale;
    – l’intervention de Dieu – et donc les miracles – se produisent dans la réalité;
    – le récit biblique est une interprétation littéraire de cette réalité.

    … cela pose d’autres questions, certes, mais pour l’instant je m’arrête là pour mes petites opinions que vous êtes pas forcément d’accord avec.

    Cordialement.

     
    • Georges Daras

      7 juin 2012 at 13:05

      Bonjour Boulipoticap,

      Je vais être bref: Je souscrits à tes observations qui concernent plutôt des généralités, non chaque récit un par un. Ce qui veut dire à mes yeux qu’il est possible que des récits de miracle (ou d’autres récits sans miracle) soient des créations littéraires, sans pour autant renier à leur propos ce que tu exprimes dans tes observations générales.

      Cela dit, même quand un récit de miracle n’est pas historique et qu’il est impossible de dire que ce miracle se soit donc produit dans la réalité, cela ne veut pas dire que ce récit flotte en l’air sans ancrage dans la réalité. Je dis cela selon le principe que j’ai énoncé dans un précédent message et qui me semble pertinent:

      « Ces récits n’auraient aucune valeur pour notre foi seulement s’ils avaient créé l’objet même de cette foi et les enseignements fondamentaux qui s’y rattachent, à savoir la personne même de Jésus-Christ et la proclamation apostolique de la bonne nouvelle du salut (le kérygme). À partir du moment où une création littéraire se trouve greffée sur ce fondement, qu’elle se situe dans son prolongement comme une de ses ramifications, qu’elle vit de sa sève telle une branche sur le tronc qui la supporte, je ne vois pas en vertu de quoi elle perdrait toute valeur selon qu’elle ne rapporterait pas quelque chose d’historique. Car, en vérité, elle est historique, mais de manière dérivée: comme elle puise sa vérité du fondement, elle participe également de son historicité. »

      Je ne sais pas si tu me suis là-dessus (j’ai l’impression que oui, en ce que tu te centres sur l’événement central qu’est Jésus).

       
  9. Benoit

    6 juin 2012 at 16:40

    Et bien Boulipoticap, il semble que nous soyons sur la même longueur d’onde!
    « l’intervention de Dieu – et donc les miracles – se produisent dans la réalité;
    – le récit biblique est une interprétation littéraire de cette réalité. »

     
  10. Xavier

    7 juin 2012 at 11:02

    L’Évangile selon saint Jean fut longtemps considéré comme peu fiable historiquement car trop « théologique ». Comme si l’un excluait l’autre ! Le problème, c’est que nombre de détails de cet Évangile a été depuis largement confirmé par l’archéologie. En fait, l’Évangile selon saint Jean est même le récit d’un témoin direct des évènements compte tenu des détails historiques et topographiques précis et vérifiés.

    Le « problème » avec cet Évangile, c’est que l’auteur se sert d’évènements réels et les interprète dans une perspective théologique. Prenons par exemple le sang et l’eau qui sortent du côté du Christ : ce phénomène naturel (confirmé par la médecine et surtout par le Linceul de Turin) est interprété par l’auteur dans un sens théologique. Beaucoup ont donc voulu y voir une allégorie, une « invention » théologique ou autre alors que cet évènement est solidement attesté. Un autre exemple pourrait être celui de la piscine aux 5 portiques (bethesda) : beaucoup d’exégètes ont voulu y voir en leur temps une pure construction symbolique. Manque de bol, l’archéologie l’a retrouvée cette piscine.

    Le problème, c’est que l’auteur de l’Évangile ne cesse de dire qu’il rend témoignage à ce qu’il a vu. Supposer qu’il invente complètement un récit à des fins théologiques, c’est donc faire de lui un menteur pur et simple. Ainsi, avec tout le respect que je dois à Meier pour ses grandes compétences d’historien et d’exégète, je n’adhère pas à ses conclusions. Un récit peut tout à fait être à la fois théologique et historique et rien dans l’Évangile selon saint Jean ne permet de dire que l’auteur n’attache pas d’importance à l’exactitude des faits historiques. C’est même exactement le contraire : cet Évangile regorge de détails exacts que seul un témoin direct a pu relaté.

    Cordialement,

     
    • Georges Daras

      7 juin 2012 at 15:14

      Bonjour Xavier,

      Vous avez raison de dire que, jusqu’à une certaine époque, une méfiance planait sur l’évangile de Jean pour la raison que vous évoquez. Toutefois, la plupart des exégètes actuels (dont Meier; cf. vol 1, p. 43) ont réhabilité cet évangile – notamment à cause de sa familiarité avec la Palestine et le judaïsme – et le traitent à égalité avec les synoptiques, si ce n’est même lui accorder une préférence sur certains points (ainsi Meier sur la nature du Dernier repas et sur la date de la mort de Jésus; vol 1, ibid.).

      Toutefois, je m’écarte de vous quand vous basculez pratiquement à l’extrême opposé du rejet, en attribuant la totalité de l’évangile à un témoin oculaire soucieux de l’exactitude historique des faits. Qu’il y ait des détails géographiques et culturels historiques avérés n’autorise pas à automatiquement attribuer tous les récit à un témoin oculaire ni à penser que tous les récits (a fortiori des détails de ces récits) ont forcément un référent historique.

      Ma position est une position intermédiaire, à savoir que, comme je l’ai dit à Benoît, il me paraît évident qu’à la source de l’évangile de Jean (mais aussi des synoptiques) il y a un/des témoignages oculaires. Mais les évangiles ne sont pas que cela: ils ont une histoire et subi des développements. Pour me limiter à Jean, l’évangile qui porte son nom est précédé par une longue tradition et des développements qui ont reçu l’emprunte spirituelle et théologique de la communauté johannique. En ce sens, l’évangile de Jean est autant une œuvre individuelle que collective, ce dont témoignent entre autres les ajouts postérieurs qui lui sont faits. Ainsi, le chapitre 21, que les exégètes considèrent comme un ajout (la première conclusion se situait en 20.30-31), témoigne au v. 24 de ce clivage entre le témoignage fondateur du « disciple bien-aimé » et la communauté qui l’a recueilli pour le faire grandir à l’aune de sa propre expérience et méditation théologique: « C’est ce disciple qui témoigne de ces choses et qui les a écrites. Et nous savons que son témoignage est vrai. » Notons que les notions de « témoignage » et de « vérité » ici présentes ne consistent pas pour l’évangile et ses auteurs dans « l’exactitude des faits », conception moderne de (faire de) l’histoire que vous attribuez à Jean, au point que sortir de ce schéma ferait de lui « un menteur pur et simple« . Dans l’évangile, c’est plutôt le Paraclet-Esprit Saint qui garantit la vérité du témoignage; de même que c’est la connaissance de l’identité de Jésus et non celle des « faits » qui prime dans l’élaboration de ce témoignage (cf. 15.26-27). Car on peut être témoin de quelque chose sans rien y comprendre (voir le thème de l’incompréhension des disciples); et comment celui qui n’a rien compris saura-t-il ce qu’il convient ou non de retenir?

      Bref. La possibilité de création littéraire me paraît tout à fait plausible.

      Bien à vous

       
  11. Benoit

    7 juin 2012 at 12:06

    Rebonjour Georges !

    1. J’ai l’impression que tu joues sur les mots. Il est évident que nous n’avons pas dans ce récit biblique la description mode opératoire précis de Jésus qui a transformé du château « lapompe » en château « Pétrus » (mes racines bordelaises remontent tout à coup). Pourtant demande à n’importe qui de lire ce texte et demande lui si ce texte décrit un miracle ou pas, je doute que moins de 99% des gens ne te répondent par l’affirmative. Le récit de Cana décrit la transformation miraculeuse de l’eau en vin par Jésus. Affirmer le contraire est tout simplement anti-intuitif pour l’immense majorité des lecteurs.

    2. Tu veux me convaincre par l’exemple de la signification théologique de la mort de Jésus sur la croix que les auteurs des évangiles nous proposent des affirmations d’ordre spirituel qui ne peuvent pas être prouvées par l’historien. Mais je n’ai pas besoin d’être convaincu d’un tel fait, j’y suis déjà.

    Le problème est ailleurs. Tu suggères que dans le récit évangélique, les auteurs ont volontairement et en toute conscience superposé et juxtaposé des récits qui décrivent alternativement des miracles « réels » et des miracles qui n’ont pas eu lieu, alors qu’ils étaient en mesure de savoir ce qui s’était passé ou presque, soit en tant que témoin, soit ayant accès à des témoignages oculaires. Je n’exige pas là une exactitude de chaque détail bien entendu. Ceci me paraît en grande contradiction avec la méthode décrite par Luc lui-même dans le prologue de son évangile.

    Inventer consciemment un miracle pour fortifier la foi ne me paraît pas conforme à l’esprit de l’état d’esprit des évangélistes.

    « Plusieurs ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, tels que nous les ont transmis ceux qui, dés le commencement ont été les témoins oculaires et qui sont devenus serviteurs de la parole »

    Donc d’après Luc, les autres évangélistes, ou du moins ceux qui ont écrit avant lui s’appuient sur des témoignages oculaires des événements.

    « Il m’a semblé bon à moi aussi, après avoir recherché EXACTEMENT depuis les origines, de te l’exposer par écrit d’une manière suivie, excellent Théophile, afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus. »

    Donc dans le domaine de son « univers cognitif », Luc a fait tout ce qui était en son pouvoir pour rapporter des évènements « qui se sont accomplis ».

    Ceci est pour moi totalement différent des auteurs de Genèse 1-11 qui tentent de reconstituer le passé des milliers d’années après, en se basant sur les connaissances scientifiques et historiques de leur époque.

    3. Je ne dis pas que Meier entend exclure le miraculeux, mais je dis que c’est la conséquence inévitable de sa méthodologie. Je persiste et je signe, il y a des miracles relatés dans les évangiles pour lesquels reconnaître leur historicité, c’est reconnaître leur caractère miraculeux en même temps. Les deux sont indissociables. On peut imaginer une cause « psychosomatique » à la délivrance de certaines maladies, ou une forme de rémission spontanée mais on ne peut pas imaginer de cause naturelle au fait de marcher sur l’eau, de procréer sans relation sexuelle, de ressusciter après avoir été reconnu pour mort. Donc je ne suis pas d’accord avec ton affirmation « Qu’un phénomène soit extraordinaire ou paraît inexpliqué n’implique pas forcément qu’il soit miraculeux! C’est une interprétation, une explication possible, mais pas la seule. » Ou alors donne moi une autre interprétation possible que le miracle au fait de marcher sur l’eau. Par voix de conséquence, l’historien qui refuse de se prononcer sur le caractère surnaturel d’un tel événement n’aura d’autre choix que de le considérer comme non historique. Sinon, explique moi comment Meier aurait la possibilité de reconnaître que Jésus a marché sur l’eau, sans reconnaître simultanément que c’est un miracle ? Cela me paraît être du simple bon sens.

    Tu ne peux pas mettre cet argument en parallèle avec la création divine. Jusqu’à présent, la science avance toujours dans la connaissance du monde sans avoir besoin de faire appel à une intervention de Dieu en dehors des lois naturelles. Tu sais bien que je ne suis pas un partisan du « Dieu bouche-trou » (God of the gaps) qui fait intervenir Dieu dans tous les phénomènes naturels qui n’ont pas encore reçu d’explication.

    Dans les évangiles, croire que le récit est historique, c’est en même temps accepter son caractère miraculeux.

     
    • Georges Daras

      7 juin 2012 at 22:15

      Bonsoir Benoît,

      (Je suis ta numérotation)

      1. Quand je discute le mot « description », ce n’est pas dans le contexte d’un simple étiquetage du récit par un lecteur choisi au hasard (sur ce point, je te suis), c’est dans le contexte d’une enquête historique, d’une discussion concernant l’historicité, ce qui exige un peu plus de précision dans le choix du vocabulaire et la mise en place de certaines distinctions afin de savoir de quoi on parle. Mais bon, en vue du reste, cette question est secondaire. Je pense qu’on sera d’accord pour dire que ce récit ne propose pas une description historique, même si pour toi il garde le souvenir d’un événement historique dont Jean a rendu compte à sa manière (pour le dire simplement).

      2. D’accord sur ta première précision. Concernant ce problème qui est ailleurs, je suis également d’accord avec toi sur le principe que les évangiles se sont constitués sur la base des événements qui se sont produits au temps de Jésus. Mais je pense aussi que, au cours des décennies qui ont suivi ces événements, lorsque des traditions orales et peut-être écrites se formaient et circulaient, lorsque des rédacteurs se sont mis à les collecter pour former les évangiles, je pense que durant ce processus l’Église a pu produire des récits qui pour n’être pas historiques ne sont pas moins porteurs de la foi et de la théologie de tel auteur ou communauté. Ensuite, je ne suis pas aussi sûr « qu’ils étaient en mesure de savoir ce qui s’était passé ou presque » (mort des témoins, défaillances dues à la mémoire), ni même que cela constituait une condition absolue pour témoigner de leur foi (comme s’ils pouvaient être bloqués dans leur entreprise par manque de connaissances historiques!).

      Concernant la préface de Luc (1.1-4), je ne pense pas qu’il faille la prendre au pied de la lettre, voire de l’interpréter de manière historiciste (sans te viser particulièrement). Il faut d’une part la comprendre selon les conventions de son époque et, d’autre part, saisir ce qu’elle a de conventionnel et de convenu (dans l »univers cognitif » de Luc, où l’on trouve des exemples similaires chez d’autres auteurs de l’époque ou chez des prédécesseurs). Si on compare l’évangile de Luc à ceux de Marc et Matthieu, on ne constate pas d’énormes différences qui seraient dues à l’application du programme de la préface. Ces différences sont davantage théologiques qu’autre chose. Même le souci fort louable de Luc de présenter les événements dans le contexte international de l’époque (ce qui lui vaut largement d’être appelé « l’historien ») fait aussi partie d’un plan théologique déterminé (ce n’est pas un hasard si c’est lui qui a écrit une suite à son évangile). Il n’y a rien de plus spécifiquement ordonné, de plus historiquement fiable chez Luc parce que lui, contrairement aux autres évangélistes, aurait fait de minutieuses recherches (ou alors il faudrait considérer Marc et Matthieu comme moins fiables?). Bref, cette préface de Luc exprime le code éthique de l’historien idéal (de l’Antiquité).

      3. Il me semble que nous ne serons pas d’accord sur ce point. Je préfère m’arrêter plutôt que de tenter de nouvelles explications.

      Je pense qu’on arrive proche du terme de notre discussion, là où tenter de convaincre doit céder sa place au respect des opinions. Cette discussion très enrichissante m’a permis d’approfondir le sujet comme je l’espérais, et de développer une réflexion que je n’aurais en aucun cas pu développer sans elle. Prochaine étape: le fameux article de fond? On verra bien.
      __________________________________________________

      PS: je t’avais écrit dans un précédent message que j’avais développé une longue réflexion que j’ai finalement renoncé à te communiquer (comme tu le verras, elle dépasse largement le cadre de notre discussion). Je me dis à présent qu’il serait enrichissant de t’en faire part, et me dire ce que tu en penses:

      Le récit d’Adam et Ève est un bon exemple de « théologie mise en récit », d’autant plus que tu n’en fais pas une lecture historiciste: les auteurs ont exprimé par un récit narratif certaines vérités théologiques. Ce récit met en scène des personnages, dépeint des situations, rapporte des événements qui sont des créations littéraires. Il faut savoir qu’il est dans la nature du récit narratif de mimer la réalité. Comme dans la réalité, il y a une dimension temporelle, une dimension spatiale, des personnages, des situations, des événements, des dialogues, etc. Mais tout cela fait partie de la création littéraire. C’est ce que Robert Alter appelle la fiction historicisée. Il ne faut bien entendu pas entendre le mot « fiction » dans un sens péjoratif. Il s’agit simplement de la création littéraire. Elle est dite historicisée, parce qu’elle mime la réalité. Sauf que les écrivains bibliques ont eu la particularité (contre justement les mythologies ambiantes) d’avoir unifié dans un grand récit le « monde » de la création littéraire avec le « monde » réel où se déroule notre histoire.

      Par conséquent, nous trouvons dans la Bible à la fois des récits totalement créés, non historiques, et des récits dont la teneur historique est grande. Pour se figurer la chose de manière générale et simplifiée à l’extrême, comparons ce phénomène au réglage de la luminosité sur une photo: pour régler la luminosité, la boîte outil (selon le programme) te propose un curseur mobile que tu peux déplacer d’un pôle à l’autre d’une ligne, d’un pôle sombre à un pôle clair. Imaginons qu’à la place de la photo on mette les récits bibliques, que le pôle sombre est l’historicité pure (disons « histoire »), tandis que le pôle clair est la création littéraire pure (disons « fiction »). Nous aurons donc des récits bibliques dont le curseur sera davantage du côté « histoire », tandis que d’autres le seront du côté « fiction ». Ce qui veut dire qu’il y a des deux ingrédients, mais plus de l’un que de l’autre. Bien sûr, il ne nous appartient pas de déplacer le curseur d’un côté ou de l’autre! Ce sont les auteurs bibliques qui en composant leurs récits ont fait que le curseur se trouve à tel ou tel endroit de la ligne. Grâce aux connaissances historiques et aux études littéraires sur la Bible, nous sommes plus ou moins en mesure de déterminer à quel genre de récit nous avons affaire. Par exemple, tu es toi-même en mesure de dire que les récits de Gn 1-11 se situent davantage du côté « fiction », et certains d’entre eux comme Gn 2-3 se situent pratiquement à l’extrémité de ce pôle. On pourra sans doute dire la même chose de l’histoire de Job, que beaucoup considèrent comme une création littéraire. Du côté du pôle « histoire », on aura par ex. des récits du livre des rois et les évangiles. Seulement, il arrive que dans un groupe de récits il y ait un épisode particulier se rapprochant plutôt du pôle fiction; inversement, dans un récit engagé du côté fiction, les historiens pourront repérer des éléments anciens susceptibles de pencher du côté histoire. De plus, il est parfois difficile de démêler ce qui est création littéraire de ce qui provient de faits historiques, car cela forme un seul tissus narratif.

      Robert Alter voit un peu les choses de cette manière. Pour les récits qui penchent du côté fiction, il parle de fiction historicisée, c’est-à-dire de la fiction présentée comme de l’histoire; tandis que pour les récits qui penchent du côté histoire, il parle d’histoire fictionalisée, c’est-à-dire des récits qui reposent sur des faits historiques mais qui ont néanmoins été modelés en fonction d’une idée particulière. En ce sens, on peut dire qu’il y a toujours un degré de fiction dans les récits bibliques, même dans ceux qui sont les mieux attestés historiquement, parce que ces récits sont toujours l’expression d’une foi, d’une théologie.

      Toutefois, les évangiles constituent une exception notable, étant donné que l’on peut très facilement distinguer certains événements fondamentaux qui sont clairement du côté « histoire », comme p. ex. l’exécution de Jésus et sa mort sur la croix. Ces événements nous pouvons les distinguer clairement des interprétations théologiques qui s’y rapportent: l’expiation, le pardon des péchés, la démonstration de l’amour de Dieu pour les hommes, le salut, etc. Mais un autre paramètre entre en ligne de compte, car la ligne « histoire »——-« fiction » concerne les récits biblique, c’est-à-dire le degré d’historicité et de fiction des récits, tandis que l’existence et la mort de Jésus sont des réalités extérieures aux récits évangéliques auxquelles ces derniers se réfèrent. C’est un élément nouveau qui s’ajoute et que l’on peut schématiser ainsi, toujours dans la logique de la photo et de la luminosité (je prends l’exemple de la mort de Jésus):

      La réalité extérieure de la mort de Jésus + les interprétations théologiques de cette mort = créations littéraires (évangiles) qui mettent en jeu les deux pôles « histoire » et « fiction ».

      Même si on peut déterminer dans les récits de l’Ancien Testament des éléments que l’on peut situer à l’extérieur des récits (attestés historiquement), ils demeurent toutefois comme noyés dans le continuum narratif et théologique modelé des récits de l’Ancien Testament. Même dans un récit fondateur comme celui de l’exode, les historiens peinent à déterminer un élément historique ayant propulsé la rédaction des récits de l’exode, tout comme toi-même tu penses qu’il y a à la source du récit du déluge un événement local vaguement et hypothétiquement déterminable dans un lointain passé. De plus, aussi fondateur que soit l’exode, on s’aperçoit qu’il demeure quelque part insuffisant. De même que cet autre moment fondateur qu’est l’installation dans le pays de Canaan sous Josué. Bien que les Hébreux aient été libérés pour devenir une nation nombreuse et gagner la terre promise afin que s’accomplissent les promesses faites aux pères, bien que ces promesses se soient réalisées sous Josué, on se rend compte que l’histoire ne s’arrête pas là! Ils ne vécurent pas « heureux », tel un happy end des contes de fées. L’histoire continue de plus belle avec les Juges, Samuel et Rois, l’exil et le retour d’exil, etc. C’est comme si l’exode et l’installation n’avaient pas suffit pour réaliser les plans divins, parce qu’il y a toujours des manquements humains face aux exigences divines, des rébellions, des erreurs, comme en témoignent déjà les murmures des Hébreux dans le désert; le cycle schématique et répétitif du livre des Juges avec la succession « infidélité du peuple » -> « le peuple est livré par Dieu aux mains ennemies » -> « cri du peuple vers Dieu » -> « envoi d’un juge-sauveur » -> « défaite de l’ennemi et rétablissement d’une paix relative »; le souhait du peuple de mettre un roi à sa tête pour faire « comme les autres nations »; la succession des rois fidèles et infidèles dans les livres des rois; et comme tout n’est pas noir ou blanc, un roi comme David « selon le coeur de Dieu » n’est pas épargné par l’horreur d’avoir joint le meurtre à l’adultère! Du coup, en lisant les récits du Pentateuque relatifs aux promesses, et surtout le Deutéronome (si tu gardes les commandements, tu seras heureux et bénis; si tu ne les gardes pas, tu seras malheureux et maudit), on a l’impression que cela manque de réalisme, on sait que les choses ne sont pas aussi simples, et on voit bien que le côté réaliste de l’histoire d’Israël avec ses vicissitudes vient contrarier et comme briser cet idéalisme. Alors on peut du coup se demander si ces récits fondateurs et ces promesses qui peinent tant à se réaliser pleinement n’expriment pas pour une bonne part l’espérance d’Israël, telle que l’ont magnifiquement exprimée les prophètes, et notamment Ésaïe dans des visions grandioses que ne pouvait supporter qu’un genre d’expression poético-mythique. Et quel meilleur terreau pour ces récits et ces promesses d’espérance que des périodes d’intense crise comme l’exil babylonien, qui entraîna la destruction du temple, la perte du pays et la fin de la royauté? Si nous situons la majeure partie de la rédaction des récits bibliques autour de l’exil, nous y retrouverons forcément une interprétation théologique de l’histoire qui mêlera dans le grand récit biblique des éléments traditionnels anciens à une réflexion théologique empreinte d’espérance modelant ce même grand récit depuis le début. (Par ex. le personnage d’Abraham sera autant sinon moins une figure historique du passé qu’une construction théologique exprimant les espérances des exilés à Babylone pour qui Abraham incarnera l’attitude souhaitée par Dieu vis-à-vis de ses promesses, c’est-à-dire une foi absolue dans sa parole qui leur sera imputée comme justice, malgré les épreuves et les vents contraires considérables.)

      Ainsi, pour abréger quelque peu ce détour, disons que cet entremêlement dans les récits bibliques de ce qui vient, d’une part, d’hypothétiques réalités historiques anciennes et, d’autre part, de l’expression des idées théologiques et des espérances d’un peuple éprouvé dans sa foi, a conduit à la rédaction d’un grand récit narratif et théologique duquel il est difficile de repérer et d’isoler des éléments historiques. C’est possible, et comme je l’ai dit, certains récits sont plus proches du pôle « histoire » que d’autres. Néanmoins, tous ces éléments n’acquièrent de sens que dans le contexte de ce vaste complexe narratif et théologique duquel il est difficile de sortir.

      Comme je l’ai montré plus haut, c’est tout à fait différent pour le Nouveau Testament et les évangiles, car l’événement fondateur et central du canon chrétien lui est aussi bien extérieur qu’antérieur, à savoir Jésus confessé comme Christ. On voit beaucoup mieux le mouvement qui va de cet événement fondateur à l’interprétation qui en est faite, et aux récits qui en découlent. C’est comme si, pour simplifier, on passait de la 2D de l’Ancien Testament à la 3D du Nouveau.

       
  12. Benoit

    8 juin 2012 at 08:39

    Bonjour Georges !

    Je voudrais sincèrement te remercier pour la peine que tu prends à expliquer ton point de vue et à m’introduire dans de nouvelles « catégories ». C’est très enrichissant pour moi.

    Je pense qu’effectivement en ce qui concerne notre fameux point 3, nous reconnaissons nos divergences et une impasse logique dans nos points de vue respectifs et il est sage d’en rester là sur ce sujet.

    Ce grand panorama que tu nos proposes au travers de la réflexion de Robert Alter est en effet très parlant, avec cette image tirée de la photographie, tout en nuance.

    Le problème avec une certaine théologie évangélique est que nous sommes uniquement du côté du pôle sombre de la métaphore (mais pas « du côté obscur de la force » pour autant). Du coup nous avons perdu un certain contraste. Bien entendu, après notre conversation, tu comprendras pourquoi je trouve que cette approche s’adapte beaucoup plus à l’AT qu’au NT…C’est une belle fresque que tu nous dépeints ici.

    La question qui me trotte encore dans la tête concernant en particulier Genèse 1-11 (toujours) est celle de l’intention véritable des auteurs. Avaient-ils réellement l’impression d’écrire une histoire aussi objective que possible ou bien étaient-ils conscient de manquer d’informations pour décrire le passé et de partir dans la fiction ? Quand on lit la façon dont les auteurs du NT lisent l’AT à ce sujet, il y a de quoi s’interroger. On a vraiment le sentiment qu’ils lisent l’AT comme un livre d’histoire.

     
    • Boulipoticap

      8 juin 2012 at 12:50

      Sur la question des intentions des « auteurs », il n’y a que des supputations, malheureusement.

      Les meilleures supputations sur ce sujet (je veux dire les plus scientifiques) sont faites, à ma connaissance, par Thomas Römer, qui mène au Collège de France une chaire sur les Milieux Bibliques. À partir du texte, des recherches archéologiques, des recherches d’autres que lui (y compris, d’ailleurs, des théologiens), il essaie d’en déduire ce qui s’est passé, les sources et les intentions.

      Ses conférences sont très accessibles au grand publlic, leur seul défaut est… qu’il y en a trop ! Voici l’URL si vous voulez les voir : http://www.college-de-france.fr/site/thomas-romer/audio_video.jsp

      À première vue aucune sur le sujet précis sur que vous cherchez, mais, sur la genèse, il y a tout le cycle d’Abraham… cela devrait déjà aller… deux ans de conférences d’une heure (18 en tout) (et ce n’est qu’une micro partie de tous les sujets abordés).

      Attention toutefois qu’il s’agit de méthodes scientifiques, aucunement de discours théologiques. On est à des années lumières du discours habituel des évangéliques. Cependant, si l’on s’intéresse à ce que l’on peut supputer de la réalité…

      Cordialement.

       
    • Georges Daras

      9 juin 2012 at 12:22

      Bonjour Benoît,

      Merci pour avoir exprimé ton appréciation!

      Concernant cette question qui te « trotte » encore dans ta tête, il n’y a aucun doute là-dessus en ce qui me concerne. Décrire ou reconstituer le passé historique n’étaient pas dans l’intention (ni dans l' »impression ») des rédacteurs de Gn 1-11, encore moins de manière la plus objective possible, ce que démontre largement le genre de récit qu’ils ont élaboré. Ce sont des préoccupations et des catégories modernes que tu leur attribues, même positivistes (« histoire objective »; « informations »; « décrire le passé »). Peut-être que je me trompe, mais il me semble que la notion d' »univers cognitif » fonctionne à partir du moment où elle t’oblige à penser que les auteurs bibliques étaient de toute bonne foi en train de faire de l’histoire, mais selon leurs connaissances de l’époque. Or ce présupposé est erroné; les auteurs bibliques de Gn 1-11 n’étaient pas en train de faire de l’histoire pour reconstituer le passé; cela n’entre pas dans leur « univers cognitif ».

      Bien sûr, tu prends la peine d’opérer une distinction: ce n’est pas de l’histoire « au sens moderne ». Mais alors dans quel sens est-ce de l’histoire? (est-ce que Lamoureux le précise quelque part?); faut-il toujours nécessairement parler d’histoire?; parler du passé est-ce forcément faire de l’histoire? Est-il seulement vraisemblable de penser que les auteurs bibliques se sont dit qu’ils allaient tenter de « reconstituer » (à leur manière « ancienne ») des événements supposés s’être déroulés des siècles, voire plusieurs dizaines de siècles dans le passé? Cela me semble absurde.

      Quant à la manière d’approcher les textes par les auteurs du NT, la question de l’histoire telle que nous nous la posons ne se posait simplement pas dans leur « univers cognitif ». Ils ne te seront d’aucune aide pour élucider ta question.

       
  13. Ren'

    6 août 2012 at 10:39

    Article très intéressant (sur un sujet dont nous discutions il y a peu par une autre approche : http://dialogueabraham.forum-pro.fr/t1509-correspondances-entre-jesus-et-dionysos ). Si j’étais moins pris, je devrais passer plus souvent par ce blog (au lieu de me contenter de passer quand les statistiques de mon blog perso m’indiquent que quelqu’un m’arrive en passant par chez vous) !

     
    • Georges Daras

      7 août 2012 at 22:31

      Bonsoir Ren,

      Merci pour le commentaire. J’étais occupé sur un article et je n’ai pu répondre dans l’immédiat comme j’ai coutume de le faire.
      Meier aborde brièvement le rapprochement que font certains entre Cana et Dionysos, rapprochement qu’il met en doute. Si cela vous intéresse, je peux fournir les passages en question et, éventuellement, les livres ou articles qu’il cite à ce sujet.

      Cordialement
      Georges

       
      • Ren'

        7 août 2012 at 22:41

        Tout apport à la recension en cours dans la discussion que je donne en lien sera le bienvenu ! Merci d’avance, donc… Mais rien ne presse non plus !

         
  14. aubert

    6 novembre 2012 at 19:29

    J’ai moi-même écrit un livre « Jésus balsamique et le philosophe » qui est la suite logique du travail de Meier. Il est disponible gratuitement en version numérique sur le site : ilv-édition .com

     
    • Georges Daras

      6 novembre 2012 at 20:16

      M. Aubert,

      Merci de cette annonce. Félicitation pour votre livre (avec imprimatur de l’éminent Jacques Schlosser à ce que je vois!) auquel je regarderai avec intérêt.

      Cordialement

      Je mets le lien complet: http://www.ilv-edition.com/librairie/jesus_balsamique_et_le_philosophe.html

       
      • aubert

        15 janvier 2013 at 19:40

        Je reviens sur votre site. Merci de votre soutien informationnel. Avez-vous pu lire mon livre ? Qu’en avez-vous pensé ? Oui, j’ai travaillé mon livre avec J.S. qui, au final, en a admiré la rigueur exégétique et la cohérence de la construction, tout en soulignant que mon projet d’Evangile balsamique était une gageure.

         
      • Georges Daras

        15 janvier 2013 at 20:38

        Bonsoir,

        J’ai seulement parcouru le livre immédiatement après que vous m’en ayez parlé, sans vraiment avoir eu l’occasion de le lire avec attention. Mais je le ferai avec joie quand j’en aurai le loisir, pour vous adresser l’une ou l’autre question sur le fond du projet que vous avez essayé de concrétiser. Pour l’instant, je suis assez pris, comme en témoigne cette accalmie éditoriale, puisque je n’ai guère publié depuis septembre… J’aimerais m’y remettre, j’ai de petits projets d’articles en attente, je souhaiterais aussi davantage échanger avec les visiteurs de mon blog qui me font l’honneur de laisser un commentaire, mais le temps de m’y consacrer me manque.

        À bientôt!
        Cordialement,
        Georges

         
      • aubert

        20 janvier 2013 at 19:08

        Vous écrivez : « pour vous adresser l’une ou l’autre question sur le fond du projet que vous avez essayé de concrétiser »
        Vous n’êtes guère enthousiaste à l’égard de mon travail : le projet que j’ai essayé de concrétiser. Diable !
        Ne croyez pas que vous puissiez traiter avec condescendance mon opus. Vous êtes coincé par ce que j’écris ci-dessous (page 48) :

        « Si je voulais résumer en quelques mots, pédants mais adéquats, la problématique épistémologique de la validation du corpus littéraire, source de tout discours à propos de Jésus de Nazareth, et qui se veut un discours vrai, je dirais ceci :
        • Soit, c’est l’Esprit Saint,
        • Soit, c’est l’esprit scientifique,
        • Soit, c’est l’esprit subjectif,
        qui est posé comme instance heuristique souveraine. »

        Attaquez ce texte, détruisez-le, démontrez-en la fausseté, et là, j’admettrai que mon essai a été un échec.

        Sinon, je serai contraint de penser que vous avez jugé de mon livre sans l’avoir lu.

         
      • Georges Daras

        20 janvier 2013 at 20:04

        Cher Monsieur,

        Je crois qu’il y a malentendu. Il n’était pas du tout dans mon intention de considérer votre travail avec condescendance, que ce soit de manière affichée ou voilée. Si ma formulation a été interprétée dans ce sens, sachez que cela n’était pas mon intention. J’entends toujours m’adresser à mes interlocuteurs avec bienveillance, respect et courtoisie, sans arrière-pensées malveillantes. Votre réaction m’a surpris et attristé. Sachez que je répugne à entretenir avec mes interlocuteurs des rapports conflictuels. C’est pourquoi, dans un esprit de réconciliation, je vous prie de bien vouloir reconsidérer votre jugement.

        Cordialement,
        Georges

         
      • aubert

        21 janvier 2013 at 09:06

        Cher Monsieur,

        Admettons que j’ai été sévère – trop, compte-tenu de la gentillesse dont vous avez fait preuve en relayant, sur votre site, la publicité pour mon livre. Si je vous ai blessé, veuillez accepter mes excuses. Toutefois. Le ton assez dur dont j’ai usé veut signifier qu’il y a un enjeu réel à l’égard de la vérité ; et la clé de voute de mon projet se tient dans l’extrait de mon livre que j’ai cité. Telle une cathédrale, si cette clé n’est pas solide, tout l’édifice s’écroule . Libre à vous de vous confronter, ou non, à ces assertions.
        Cordialement
        Bernard

        [et merci d’accueillir sur votre site l’expression ronchonneuse d’un vrai-faux disciple du Nazaréen]

         
      • Georges Daras

        27 janvier 2013 at 17:59

        Bonjour cher Monsieur,

        Je vous réponds avec un peu de retard, veuillez m’en excuser.

        Je suis heureux que la bonne entente soit rétablie entre nous. Je saisis aussi toute l’importance que vous accordez à votre projet, qui est un travail de longue haleine, je le conçois. Croyez bien que j’émettrai mon opinion aussitôt que j’en aurai l’occasion.

        Cordialement,
        Georges

        PS: bien que je sache bien ce qu’est le papyrus Egerton 2, je ne vois pas à quelles fins de phrase manquantes vous faites allusion.

         
  15. argoud

    19 janvier 2013 at 11:48

    Merci de ce travail profitable… il m’aide à préparer aussi mes homélies et à me ressouvenir de ce que j’ai pu travailler et apprendre. Maintenez le cap et le niveau d’exigence. Merci

     
    • Georges Daras

      19 janvier 2013 at 23:11

      Merci beaucoup pour votre appréciation. Comme je ne cesse de le dire, c’est une source d’encouragement et de joie pour moi. Merci!

      Georges

       
  16. aubert

    21 janvier 2013 at 09:13

    Après avoir posté, je constate que mon texte
    tel le papyrus Egerton 2 (sic) a été amputé d’une partie
    des fins de phrase. Comme nous sommes ici entre exégètes
    je ne doute pas que la reconstitution de l’ensemble vous sera
    aisée !!!

     
    • gakari1

      25 janvier 2013 at 08:10

      Si cela peut vous rassurer, en ayant mis le lien ici de votre livre, d’autres comme moi on peut-être eu le plaisir (et le temps) de le lire.
      Je ne suis pas expert comme vous deux, je peux juste dire que tout ce travail m’a été profitable et je me pose des questions sur votre état de vrai faux disciple du Nazaréen.

      Yannick

       

Répondre à Georges Daras Annuler la réponse.