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Les spécialistes 1

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Quatrième partie: « Comment sont étudiés les évangiles »

a) « De la liberté du chercheur catholique » (chap. 11)

Coco′est la lecture de ce chapitre qui m’a décidé à écrire à l’auteur, puis à entreprendre une critique systématique de son livre. J’ai ressenti en le lisant une criante injustice mêlant arrogance, mauvaise foi et désinformation.

Le chapitre est très court: 6 pages et un quart. Deux pages occupent des extraits de Dei Verbum. La place des autres citations doit facilement combler à peu près une page et demie. Ainsi, dans l’ensemble, il y a à peu près 3 pages et demie de citations. Les commentaires, conclusion comprise, ne font pas la moitié du chapitre (pas 3 pages). N’est-ce pas un peu trop court pour prétendre porter des jugements globalisants du genre:

« [Jacques] Duquesne s’imaginait sans doute que les spécialistes [en général] sont des scientifiques qui échangent sereinement leurs arguments dans le but de les confronter de façon objective… » (p. 121, je souligne) et « […] la recherche [en général] sur le Jésus historique est encore largement tributaire de la religion » (p. 122, je souligne).

Il y a de quoi douter, vous en conviendrez, du fondement réel de telles allégations. En effet, M. Bourgeois ne cite qu’un seul spécialiste catholique: Pierre Grelot.

D’après Pierre Grelot, la datation de l’évangile selon Marc « est une question libre où l’appréciation est laissée au choix prudent des critiques, pourvu que l’enracinement traditionnel du texte reste intact » . – (p. 116)

De même que:

Il faut savoir défendre à la fois l’orthodoxie chrétienne […] et la liberté chrétienne, appliquée à des recherches historiques où la foi comme telle n’est justement pas engagée, pourvu qu’on les mène correctement.

* * *

45. M. BOURGEOIS DRESSE UN CONSTAT ALARMANT SUR DE BIEN MAIGRES PRÉMISSES****Tout le chapitre sur la liberté du chercheur catholique est placé sous le patronage de ces deux citations de Grelot. Cette mise en exergue ne sera pas sans faire son petit effet sur le lecteur non averti. Il aura effectivement l’impression que les chercheurs catholiques pensent tous comme Pierre Grelot qui ne fait qu’exprimer la ligne directrice de leurs préoccupations. M. Bourgeois se trompe lourdement. C’est ce que je vais démontrer tout au long de ce volet. Quelles que soient les critiques, aussi légitimes soient-elles, prononcées contre ce que Grelot écrit, il est totalement injustifié d’en faire une généralité. L’opinion de M. Grelot regarde en premier lieu M. Grelot et ceux qui estiment ses propos défendables.

46. PRODUIRE DE L’EFFET EST CE QUE RÉUSSIT M. BOURGEOIS — IL CONVOQUE À LA BARRE DES TÉMOINS SANS RAPPORT AVEC LES CHEFS D’ACCUSATIONS****L’auteur glisse ensuite deux autres noms: ceux de Joseph Doré (qui n’est pas exégète ni spécialiste du Jésus de l’histoire) et Marie-Joseph Lagrange (mort en 1938). Le premier est évoqué à travers une citation de Duquesne dont l’humble lecteur que je suis ne sait à quoi elle fait référence (livre?, discours?, interview?, homélie?). Tout ce qui semble intéresser M. Bourgeois est de produire de l’effet. Pour cela il aura simplement suffit de signaler entre crochets que Joseph Doré est « professeur à l’Institut catholique de Paris ». Professeur de quoi, nous ne le saurons pas… Enfin, en ce qui concerne Marie-Joseph Lagrange, l’évocation de ses démêlées avec les autorités ecclésiastiques montre la pression que cette dernière exerçait à l’époque (début XXe) sur les exégètes trop audacieux. Aujourd’hui, une telle emprise n’est tout simplement plus possible, en tout cas dans le domaine exégétique et donc du Jésus de l’histoire.

47. LES ACCUSATIONS DE M. BOURGEOIS RATENT LEUR CIBLE — AUCUNE PREUVE N’EST FOURNIE****Comme signalé ci-dessus, les deux premières pages rapportent des extraits de textes officiels du Vatican, dont la constitution dogmatique Dei Verbum (Vatican II, 1965). J’y viens bientôt. Mais avant cela, je souhaite signaler que M. Bourgeois manque encore une fois sa cible. La première fois, il a tenté de viser les chercheurs catholiques à travers Pierre Grelot. Il pense également s’en prendre à ces mêmes chercheurs et à leurs travaux à travers les textes conciliaires (pourquoi pas le Catéchisme de l’Église Catholique tant qu’on y est?!). En effet, ce chapitre consiste davantage en une critique d’un texte officiel de l’Église catholique romaine plutôt qu’une démonstration informée et argumentée du fait réel et attesté que les chercheurs en général seraient davantage préoccupés des décrets de Vatican II que d’objectivité, et que « la recherche sur le Jésus historique [comme s’il n’y avait pas de chercheurs juifs et protestants] est encore largement tributaire de la religion » (p. 122). Voilà bien de fausses accusations qui ne font que trahir l’ignorance de M. Bourgeois en matière de recherche biblique, à moins que cela ne soit de la bien mauvaise foi.

48. M. BOURGEOIS TROUVE LE BRIN D’HERBE QUI SEMBLE CONFORTER SES VUES MAIS NE VOIT PAS L’ARBRE QUI LES INFIRME****On pourrait se demander pourquoi il ne prend pas l’exemple de Meier comme « liberté du chercheur catholique »? Pourtant Meier (comme d’autres) n’hésite pas à dire qu’historiquement les sources plaident pour une naissance de Jésus à Nazareth, et non à Bethléem; sur la question épineuse des frères et sœurs de Jésus, Meier répond en historien contre la tradition que Jésus a probablement eu des frères et sœurs de sang (que la tradition conçoit comme des cousins). Même sur la naissance virginale de Jésus il écrit qu’il n’est pas du ressort de l’histoire de trancher. Il cite d’autres chercheurs catholiques qui vont plus loin en affirmant que la naissance virginale est un théologoumène (j’entends: enseignement théologique historicisé) et non un fait historique. M. Bourgeois aurait tout aussi bien pu les prendre en exemple de la « liberté du chercheur catholique », mais il ne l’a pas fait. Ajoutons enfin que parler de l’appartenance confessionnelle des chercheurs n’a pas grand intérêt dans le domaine de l’exégèse et de l’histoire, qui n’est pas cloisonné par ces différences.

Après ces quelques considérations, il n’est, à mon sens, plus possible de prétendre que:

« Duquesne s’imaginait sans doute que les spécialistes [en général] sont des scientifiques qui échangent sereinement leurs arguments dans le but de les confronter de façon objective… » (p. 121, je souligne) et que « […] la recherche [en général] sur le Jésus historique est encore largement tributaire de la religion » (p. 122, je souligne).

* * *

49. QUAND IL S’AGIT DE PRENDRE AU SÉRIEUX CE QUE RAPPORTE LE NOUVEAU TESTAMENT ET CE QUE DISENT LES CHERCHEURS CATHOLIQUES, CE N’EST PAS L’AFFAIRE DE M. BOURGEOIS; QUAND LE PAPE OUVRE LA BOUCHE, SI CELA S’AVÈRE PROFITABLE POUR LA BONNE CAUSE MYTHISTE, ON L’ÉCOUTE AVEC ATTENTION****Voici les passages de Dei Verbum que l’auteur affectionne tant, surtout parce que c’est à cause d’eux qu’il s’imagine que la recherche sur Jésus est minée (je cite tel quel):

Tout ce qui concerne la manière d’interpréter l’Écriture est soumis en dernier lieu au jugement de l’Église, qui s’acquitte de l’ordre et du ministère divin de garder et d’interpréter la parole de Dieu. – (Dei Verbum, section n°12, que l’auteur attribue erronément à la section n°23)

Il faut que les exégètes catholiques […] fassent en sorte, sous la vigilance du Magistère sacré, de scruter et de présenter les Lettres divines… – (Dei Verbum, section n°23)

Voici pourtant ce que M. Bourgeois peut lire dans certaines sources de chercheurs catholiques qu’il a consultées, et d’autres encore:

La recherche historique, elle, est une science humaine et, comme toutes les sciences, elle n’a d’autre instrument que l’imagination, la collecte des données disponibles, leur organisation et leur interprétation à la lumière de la raison. L’historien ne fait pas appel au dogme, à quelque donnée révélée, et il travaille sans considération du surnaturel. […] Par principe, la foi ne doit donc pas intervenir dans ce commerce-là. Telle est du moins la conviction qui a guidé mon propre travail.

[L]es arguments tirés de la foi sont sans portée à ce niveau, car la recherche historique sur Jésus relève exclusivement de la discipline académique que nous appelons simplement l’histoire – Jacques Schlosser, Source, p. 331-332, et 333.

Même raisonnement chez Meier:

Dans les pages qui suivent, je ferais de mon mieux pour mettre entre parenthèses mes positions de croyant et limiter mon analyse à ce que la recherche historique et l’argumentation logique permettent de tenir pour certain ou probable.

Nous faisons abstraction de la foi parce que nous entreprenons la reconstruction hypothétique d’un personnage du passé par des moyens purement scientifiques: données empiriques provenant de documents anciens, passés au crible par des esprits humains fonctionnant par déduction, par analogie et selon certains critères particuliers. – John Paul Meier, source, p. 16 et 37.

Le théologien catholique Joseph Moingt écrit (c’est lui qui souligne):

Tout ce qui relève de l’histoire de Jésus relève de la science historique comme telle, non de la théologie, et celle-ci utilise ce savoir comme un matériau historique et non théologique, c’est-à-dire comme un résultat brut et non comme une pensée de la foi, comme un résultat qui donne à penser mais qui reste à penser dans son rapport à la foi.

Qui était Jésus? Comment a-t-il été cru dans les premières communautés chrétiennes? Toutes les questions posées au passé relèvent de l’histoire, leurs réponses restent pareillement au niveau des connaissances historiques, le théologien les utilisera comme du documentaire, il ne les intégrera pas à sa pensée de la foi sans les repenser d’un autre point de vue. – « L’intérêt de la théologie pour le Jésus de l’histoire », p. 586-587 et 589, références ici.

Un autre théologien catholique, Christian Duquoc, écrit:

[L]’affirmation dogmatique de l’Incarnation, confessant la vérité humaine de Jésus, ne s’oppose en rien à l’investigation historique puisque l’historicité affecte cette condition. Le théologien reconnaît ainsi la légitimité de la méthode historique parce que sa condition de possibilité, l’humanité réelle et non apparente de Jésus, relève de la confession chrétienne.

La persévérance des exégètes dans leur méthode critique, malgré des échecs graves, a permis finalement son usage légitime dans l’Église catholique. Sans cette persévérance […] la méthode aurait disparu comme une fantaisie éphémère: elle s’est imposée par son entêtement, courageux souvent, comme une approche légitime qui ne tient sa valeur que d’elle-même, indépendamment de tout soutien ecclésiastique autorisé. – « L’intérêt théologique de la quête du Jésus historique », p. 493 et 498, références ici.

Terminons par une citation du dominicain François-Paul Dreyfus, qui opère une distinction, certes schématique mais commode, entre l’exégèse savante (= « exégèse en Sorbonne ») et l’interprétation de l’Église (= « exégèse en Église »; ici, exégèse est à prendre dans son sens étymologique plus large):

1. L’exégèse en Sorbonne est une exégèse qui étudie le texte sous tous les aspects où il peut être objet de connaissance, en utilisant toutes les ressources disponibles du savoir humain et sans établir de hiérarchie entre ces différents aspects. L’exégèse en Église se limitera aux aspects dont la connaissance influe sur le contenu, la transmission et l’actualisation du message, et elle établira entre eux une hiérarchie, suivant que cette influence est plus ou moins grande.

2. L’exégèse en Sorbonne exclut un savoir non rationnel, celui de la foi (savoir supra-rationnel aux yeux des croyants, irrationnel pour les autres), savoir qui interviendra à certaines étapes de l’exégèse en Église.

3. Dans l’exégèse en Sorbonne, ce savoir n’est pas finalisé par autre chose que par lui-même, à savoir la connaissance du réel, alors que celui de l’exégèse en Église est finalisé par le salut du peuple de Dieu, en vertu même de la charge exercée au milieu de ce peuple, de la mission reçue. L’exégèse en Sorbonne s’adresse aux savants, ses collègues. Ce sont les petits que vise finalement l’exégèse en Église […]. – Source, p. 28-29.

* * *

La recherche sur le Jésus historique est-elle encore largement tributaire de la religion?

50. M. BOURGEOIS CRITIQUE L’ÉGLISE CATHOLIQUE, PAS LES CHERCHEURS****Ce que M. Bourgeois a tenté de démontrer dans ce chapitre n’est pas tant la mainmise effective de l’Église sur la recherche que l’existence de certains documents officiels de nature doctrinale touchant à l’interprétation des Écritures. Les citations de Dei Verbum (n°12 et 23) sont davantage l’expression d’une foi particulière, celle de l’Église catholique romaine, plutôt que la démonstration de cette mainmise. Je me demande par ailleurs si M. Bourgeois s’est interrogé sur la signification et la portée exacte des extraits qu’il cite. Quoi qu’il en soit, le fait est qu’il n’a pas su faire le lien entre ces citations et la recherche.

51. CE QUE M. BOURGEOIS AURAIT DÛ SAVOIR À PROPOS DES DOCUMENTS OFFICIELS QU’IL CITE****Le rôle de l’Église dans l’interprétation des Écritures ne s’applique pas aux domaines historiques et exégétiques (c’est l’exégète Raymond Brown qui le dit, ici, p. 65; voir aussi le point D plus bas), mais dans ceux de la doctrine, de l’éthique et de l’actualisation des Écritures, c’est-à-dire ce qu’elles signifient pour les catholiques d’aujourd’hui et non leur sens premier dans leur contexte d’origine. Il est clair que durant la crise moderniste l’Église catholique a abusé de son autorité en se prononçant sur des questions historiques, comme sur l’auteur ou la date de tel écrit, en imposant aux chercheurs (catholiques) une obéissance sur ces sujets. La situation a évolué depuis une soixantaine d’années (plus précisément depuis 1943, année de la publication par Pie XII de l’Encyclique Divino afflante spiritu). Ainsi, l’idée que « l’Église catholique se permette de dire ce que les chercheurs doivent ou ne doivent pas trouver » est fausse; il n’y a pas de « scandale épistémologique » qui tienne. Cela vaut également quand M. Bourgeois écrit que « l’Église estime avoir le droit de surveiller les chercheurs et de leur imposer son point de vue » (p. 117). Surveiller? Oui, sans doute, même si le mot n’est pas très heureux. Mais « imposer son point de vue », certainement pas! Il n’en donne d’ailleurs aucune preuve.

52. CE QUE M. BOURGEOIS AURAIT DÛ SAVOIR SUR L’HISTOIRE DE LA RECHERCHE BIBLIQUE****Depuis la crise moderniste, c’est l’Église qui s’est mise au diapason des acquis de la recherche, et non les chercheurs qui se seraient conformés aux soi-disant exigences de l’Église. Ce qui n’est pas étonnant, puisque les résultats de la recherche ne sont pas soumis à l’autorité de l’Église!

Si la théorie de M. Bourgeois tient la route, il faudrait alors expliquer deux choses:

♦ Si l’Église exerce réellement son emprise sur les domaines exégétiques et historiques, il devrait exister un document dans lequel sont exprimées toutes les opinions historiques et exégétiques orthodoxes à imposer. C’est dans ce genre de travers qu’est tombée l’Église durant la crise moderniste (on parle d’avant 1920). Mais il n’en est plus question aujourd’hui, une telle démarche est d’ailleurs impossible a concrétiser en tenant compte du degré de spécialisation, du nombre incalculable de publications, des avancées de la recherche et de son caractère transconfessionnel.

♦ Si l’opinion de M. Bourgeois tient vraiment la route, il faudrait aussi expliquer comment il se fait que dans de simples introductions que l’on trouve dans la Bible de Jérusalem (édition abrégée, DDB, 2000) nous puissions lire que:

◊   les 11 premiers chapitres de la Genèse sont d’« expression mythique » (p. 17);

◊   le Pentateuque est formé de plusieurs sources (p. 16-17) et qu’il n’a donc pas été écrit par Moïse, comme le soutiennent certains courants fondamentalistes;

◊   les récits des patriarches ne sont pas « de l’histoire au sens moderne » (p. 17);

◊   le livre du prophète Isaïe n’est pas entièrement du prophète Isaïe et qu’il convient de distinguer 3 parties dont les deux dernières sont postérieures à Isaïe (p. 1290);

◊   l’évangile de Jean « est le résultat d’une lente élaboration, comportant des éléments d’époques différentes, des retouches, des additions, des rédactions diverses » et que l’attribution du livre à l’apôtre Jean « fait problème » (p. 1857-1858);

◊   l’authenticité de certaines épîtres de Paul est discutée: l’opinion qui soutient celle de l’épître aux Éphésiens n’est pas « la seule possible », « certains critiques penchent pour une date postérieure à Paul » (p. 2043);

◊   l’authenticité des épîtres pastorale (1 et 2 Timothée, Tite) est « discutée », voire improbable en ce qui concerne 1 Tm et Tite (l’introduction p. 2076 n’encourage aucunement à penser le contraire!);

◊ que pour la 2e épître de Pierre « une date et un auteur plus tardif s’imposent » (p. 2126).

Et nous parlons d’une simple Bible de Jérusalem accessible à tous les fidèles catholiques et autres, dans une édition aux notes et introductions abrégées! Toutes ces remarques piochées çà et là sont le fruit de la recherche scientifique et non le résultat d’une quelconque autorité de l’Église qui imposerait « son point de vue ». Ce qui serait absurde vu la teneur de ces notes! Qu’est-ce qui s’impose ici? L’autorité de l’Église ou le travail scientifique de la recherche? Ces observations suffiraient à discréditer complètement les propos de M. Bourgeois et M. Bourgeois lui-même en sa qualité de critique amateur. Historiquement, il est indéniable que c’est l’Église qui a intégré après coup les résultats de la critique historique et littéraire de la Bible pour se mettre à jour. Les chercheurs n’ont pas attendu un décret ecclésiastique pour, par exemple, distinguer dans la Bible différents genres littéraires et les analyser en conséquence. Ce n’est qu’après coup que l’Église a décrété qu’il était bon de distinguer dans la Bible les différents genres littéraires. Il serait dès lors absurde d’affirmer que si les chercheurs distinguent les différents genres littéraires dans la Bible c’est parce que c’est « une liberté consentie par l’Église » (correspondance privée)! Si le pape Jean-Paul II considère que la théorie de l’évolution est « plus qu’une hypothèse », il ne viendrait pas à l’idée de M. Bourgeois d’annoncer aux biologistes que s’ils maintiennent et affinent leur théorie évolutionniste c’est parce que c’est une liberté consentie par l’Église!

53. L’ÉGLISE CATHOLIQUE N’ORGANISE PAS NI NE CONTRÔLE LA RECHERCHE****Enfin, la prétendue organisation de la recherche par l’Église catholique (p. 126) est grotesque. L’Église « n’organise » rien du tout, ce n’est pas son rôle. Les initiatives sont prises par les chercheurs eux-mêmes, au diapason de la recherche internationale. La création (dans les années 60) d’une association aussi prestigieuse que l’Association Catholique Française pour l’Étude de la Bible (voir leur site ACFEB) a été l’initiative de biblistes, et c’est elle qui organise les congrès qui se déroulent régulièrement (le 23e congrès et dernier en date s’est déroulé du 24 au 27 août 2009 à Lille). Bien sûr qu’à l’origine il y eut des tensions, des inquiétudes, des conflits qui résonnaient jusque dans l’épiscopat. Cela témoigne d’une naissance difficile motivée par un authentique désir de scientificité et d’objectivité de la recherche. Ensuite les « universités catholiques » ne sont pas des « intermédiaires », mais des lieux de recherche, d’enseignement et de formation. C’est là qu’est conduite la recherche, c’est là qu’elle naît. L’Église n’interfère pas ni ne « transmet » quoi que ce soit, ni « n’impose son point de vue » dans ces domaines. De plus, faut-il le répéter, M. Bourgeois n’apporte aucune preuve à l’appui de ses allégations.

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Les extraits cités de Dei Verbum constituent-ils un frein à la recherche et une limite imposée à la liberté des chercheurs?

Comme je l’ai précisé, le contenu de Dei Verbum n’a rien d’une démarche scientifique. Son contenu est relatif à la foi et à la doctrine de l’Église catholique romaine.

54. LA QUANTITÉ DE PREUVES (SI TANT EST QU’IL Y EN AIT) ET D’ARGUMENTS QUE PROPOSE M. BOURGEOIS N’EST EN RIEN PROPORTIONNELLE AU POIDS DE SES ACCUSATIONS****Je suis tout à fait d’accord que les démarches historique et exégétique doivent être libres de tout préjugé philosophique, théologique et dogmatique. Il me semble que les Meier, les Schlosser, les Marguerat, les Perrot et les Brown que l’auteur cite et exploite travaillent conformément à cet indispensable principe. C’est ce que j’aurais aussi aimé voir de la part de M. Bourgeois. Parce que, pour l’instant, s’il est très fort en accusations infondées et en affirmations péremptoires, il l’est nettement moins quand il s’agit de fournir les preuves qui justifient ses accusations massives. D’après l’une d’entre elles « les spécialistes du “Jésus historique” [en général!], sous couvert de science et d’histoire, font de la religion et de la désinformation. » (p. 7, je souligne) Pas de preuve à l’appui. Il écrit aussi que « la documentation utilisée dans ce livre provient […] de chercheurs chrétiens réputés appartenant au courant de pensée approuvé par le Vatican » (ibid., je souligne) Quel est donc ce courant de pensée, et en quoi influence-t-il les travaux des « spécialistes », preuves à l’appui? À la page 116 (je souligne) où est annoncé le contenu du chapitre, l’auteur prétend « examiner quelques exemples de la soumission des chercheurs [en général] aux intérêts de la foi ou aux directives du Vatican ». Il poursuit: « nous verrons des spécialistes, plus ou moins consciemment, faire œuvre d’obéissance et non de science, produire de l’orthodoxie plus que de la connaissance » (je souligne). Très bien. Où sommes-nous censés voir ce que « nous verrons »? M. Bourgeois parle de Meier qui est considéré comme une référence (p. 199). Très bien! L’œuvre (inachevée!) de Meier fait plus de 3000 pages. Voilà donc une source où puiser d’abondantes preuves pour nous montrer cet « intérêt de la foi » et cette obéissance « aux directives du Vatican ». Rien du tout! Dans la foulée, il aurait aussi pu nous parler de Raymond Brown, une de ces sommités « bardées de doctorats » – comme écrit avec mépris sur la quatrième de couverture – auteur d’une somme d’exégèse historico-critique sur les récits de la Passion, La mort du Messie (1600 pages! dans l’éd. fr.), traduite et publiée chez Bayard (2005 [1e éd. 1995])? Pareil pour Jean-Pierre Lémonon, Jacques Schlosser et Marie-Émile Boismard.

Bref. Les affirmations de M. Bourgeois sont massives et généralisantes, sans aucune nuance ni concession. Je n’ai pas besoin de citer d’autres passages que ceux que j’ai relevés jusqu’ici. M. Bourgeois a à fournir une quantité de données et d’arguments proportionnels au poids de ses accusations.

55. TOUJOURS PAS DE PREUVE CONCLUANTE — TOUJOURS PAS D’ÉLÉMENT ATTESTÉ DANS LA RÉALITÉ****Un dernier mot sur les citations de Dei Verbum. M. Bourgeois interprète un bout de phrase d’où il déduit ce qui sied à la thèse qu’il veut défendre. Mais vérifier la plausibilité de ses déductions dans la réalité des faits ne l’intéresse apparemment pas. Or, la réalité des faits le dément complètement. Tout ce qui concerne l’interprétation de la Bible dans l’Église catholique se trouve exprimé dans le document de la Commission Biblique Pontificale qui n’est cité qu’une seule fois dans une note (n. 239, p. 161). Il y est clairement affirmé que l’exégèse historico-critique est indispensable et qu’elle doit être pratiquée. Aucune réserve d’une quelconque autorité n’est mentionnée en la matière. Encore une fois, notre auteur ne fait que projeter ses fantasmes plutôt que de regarder la réalité en face. Je ne vais pas m’éterniser sur la question de l’autorité de l’Église. Le fait est, pour conclure, que M. Bourgeois n’a nulle part démontré son effectivité dans les travaux de Meier, Schlosser, Brown, Perrot et compagnie, tous pratiquant l’historico-critique sans aucune restriction.

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Est-il possible de concilier les données de l’histoire avec la foi?

56. MISES AU POINT****Il convient de bien comprendre ce qui est de l’ordre de la science et ce qui l’est de la foi. Les positions exégétiques et historiques sont d’un autre ordre que les positions de foi. Bien sûr, il peut exister une certaine tension, mais il ne s’agit pas d’exclusion. C’est l’affaire de chaque exégète et historien de gérer cela. La démarche ancienne, apologétique, consistait à prouver les choses de la foi en misant sur l’exactitude des faits, en tordant parfois les données pour les faire correspondre. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, sauf dans les milieux intégristes et fondamentalistes. Sur les questions historiques et exégétiques, c’est la recherche historique et exégétique qui peut dire quoi que ce soit, pas la foi ni l’Église (voir par exemple les extraits cités de la Bible de Jérusalem ci-dessus). Si l’Église catholique, par-dessus certaines données exégétiques et historiques, se basant sur la Tradition et le Magistère, décide de croire que Marie est demeurée toujours Vierge, que grand bien lui fasse! C’est la position catholique, une position de foi et non d’histoire ou d’exégèse. Par ailleurs, il n’y a pas lieu de naïvement s’imaginer que tous les catholiques se sentent obligés de croire tout ce que l’Église catholique leur demande de croire. Nombre d’exégètes catholiques (dont John Paul Meier; voir son Jésus, vol. 1, p. 202-203!) soutiennent qu’il est plus vraisemblable que les frères et sœurs de Jésus étaient de vrais frères et sœurs et non des cousins comme le soutiennent certains de manière non critique sur base de la Tradition. Cela met évidemment à mal l’idée de « Marie toujours Vierge »! Il est donc faux de prétendre qu’aujourd’hui l’Église catholique impose ses vues et que la recherche historique et exégétique s’en trouve minée. Il n’y a rien de moins vrai. Ce qui est vrai, c’est l’opinion de chacun. Si un tel veut prouver que la Tradition a raison envers et contre tout, que grand bien lui fasse! Mais on n’est plus dans le domaine scientifique.

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Conclusion du chapitre 11

57. M. BOURGEOIS DÉFEND SON OPINION, ÉMET SES VIRULENTES CRITIQUES; IL NE MANQUE PLUS QU’À FOURNIR LES PREUVES…****M. Bourgeois n’a jamais fourni la moindre preuve de ce qu’il avance, à savoir, essentiellement, que l’Église catholique a une emprise sur les recherches historiques et exégétiques des chercheurs catholiques. M. Bourgeois a de temps en temps pointé chez l’un ou l’autre chercheur la faiblesse d’un raisonnement et de certains arguments. Soit! Cela n’a cependant rien à voir avec une emprise de l’Église romaine. Des arguments faibles, il y en a partout, à commencer par le livre de M. Bourgeois. Faut-il pour autant en conclure que M. Bourgeois est sous l’emprise d’une instance autoritaire qui lui impose ses vues? Je ne pense pas. Enfin, comme je l’ai déjà dit, l’auteur exploite à sa convenance la constitution Dei Verbum pour la retourner contre les chercheurs catholiques. Cela n’a évidemment aucun sens si, d’un autre côté, ne sont pas données des preuves effectives d’une telle main-mise, puisées dans les productions historiques et exégétiques de ces chercheurs.

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PS. RENDRE JUSTICE À PIERRE GRELOT****Je dois dire que, malgré la discutabilité de certaines de ses opinions, ses ouvrages demeurent d’une grande qualité scientifique, et lui-même un exégète d’envergure. Aussi, me méfierais-je de quelques citations tronquées ou isolées pour me permettre de juger toute l’œuvre.

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(Refonte de l’article le 14 mai 2010; dernières retouches le 31 juillet 2010)

Suite: M. Bourgeois réfute-t-il les arguments des spécialistes?

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Réponse à la critique (blog consulté le 7 août 2010; indisponible actuellement) de M. Bourgeois

A. L’EMPRISE DU VATICAN SUR LA RECHERCHE****Je constate tout d’abord que M. Bourgeois est toujours incapable de fournir la moindre preuve en se basant sur les travaux des spécialistes. M. Bourgeois critique toujours l’Église catholique romaine, pas les chercheurs. Le cas Hans Küng évoqué est hors-sujet (Küng n’est pas exégète).

B. FIXATION SUR PIERRE GRELOT****M. Grelot « n’est pas n’importe qui », il est « un spécialiste reconnu du Jésus historique », il était « membre de la Commission biblique pontificale », ce qui, dans l’esprit de M. Bourgeois, implique qu’« [u]n seul rappel à l’ordre de la part d’un tel chercheur est d’une portée considérable ». Rétablissons la vérité. Oui, Pierre Grelot n’est pas n’importe qui. C’est un bibliste catholique dont les travaux portent notamment sur le Nouveau Testament et le judaïsme du Ier siècle. Ce n’est pas un spécialiste du Jésus historique! Ensuite, sa qualité de membre de la Commission biblique n’implique aucunement de rappeler à l’ordre qui que ce soit. Les spécialistes membres de la Commission biblique le sont à titre consultatif. La Commission biblique est un organe consultatif.

C. M. BOURGEOIS GÉNÉRALISE****J’ai reproché à M. Bourgeois de généraliser le cas de Pierre Grelot (§45). Il répond « Je n’ai rien dit de tel. » Pourtant, après avoir cité la critique que fait Pierre Grelot du livre de Duquesne, M. Bourgeois écrit: « [Jacques] Duquesne s’imaginait sans doute que les spécialistes [en général, et non Pierre Grelot] sont des scientifiques qui échangent sereinement leurs arguments dans le but de les confronter de façon objective… » (p. 121, je souligne) De même, à la page suivante, après avoir conféré à la Commission biblique d’extraordinaires pouvoirs inquisitoriaux et évoqué le Père Lagrange hors-contexte (voir §46), il généralise à nouveau: « […] la recherche [en général] sur le Jésus historique est encore largement tributaire de la religion » (p. 122 de son livre, je souligne). Il est indéniable que M. Bourgeois a une forte propension à généraliser.

D. CONCERNANT LA CITATION DE BROWN****Alors que Brown parle de ce petit nombre de faits historiques comme étant « intrinsèquement lié au dogme » (je souligne), M. Bourgeois dévie et nous parle du dogme « qu’un catholique doit reconnaître comme vrai » (plus bas il précise: « L’existence de Jésus est liée au dogme! »; mais les conséquences qu’il en tire sont erronées, comme je vais le montrer). Le fait que Jésus a vécu et a été crucifié n’est pas un dogme, et n’a pas à être cru ou imposé. Je vais donner un exemple simple pour expliquer ce que je pense que Brown a voulu dire: dans « Jésus est mort pour nos péchés », ce qui est proprement confessionnel (doctrinal ou dogmatique) c’est « pour nos péchés », tandis que « Jésus est mort » ne représente que le substrat historique de cette confession, qui en soi est insignifiant (sans signification). Ainsi, la mort de Jésus est « intrinsèquement liée » à la confession de foi qui lui donne une valeur salvifique. Mais il n’est pas du tout question de voir dans le fait que Jésus ait vécu et soit mort un dogme qu’il faudrait imposer. Par comparaison, si je dis que cet anneau est magique, je ne dis rien sur l’objet en tant que tel (un anneau = la mort de Jésus) mais sur sa propriété (il est magique = elle est salvatrice) qui peut être parfaitement imaginée. Tout fait historique peut être critiqué et remis en question. La thèse mythiste échoue dans son entreprise sur le plan de l’histoire, nullement pour n’avoir pas su défaire un dogme. M. Bourgeois ferait bien de prendre Brown au sérieux quand il écrit: « L’Église est juge, en dernier ressort, en matière de foi et de morale; la critique historique est le critère de l’histoire. Un transfert des rôles, dans l’un ou l’autre sens, peut avoir des conséquences désastreuses. » (p. 65, je souligne) Voir aussi le florilège de citations sous §49 ci-dessus qui vont totalement à l’encontre de ce que soutient M. Bourgeois.

E. QUELQUES AFFIRMATIONS FRIVOLES DE M. BOURGEOIS POUR COMBLER LE VIDE DE PREUVES

 Le « courant de pensée approuvé par le Vatican » (p. 7 de son livre) auquel sont censés appartenir les « chercheurs chrétiens réputés » « s’appelle «méthode historico-critique» »…
*Tout d’abord, les méthodes historico-critiques ne sont pas un courant de pensée. Ensuite, les chercheurs n’appartiennent pas à ce prétendu courant, ils pratiquent ces méthodes. Enfin, ces méthodes ne sont pas nécessaires parce que le Vatican les a approuvées, mais parce que la compréhension des textes bibliques en exige l’application. Autrement dit, Vatican ou pas, ces méthodes seraient appliquées par les exégètes, catholiques ou pas.

 « Rappelons que la plupart des chercheurs sur le Jésus historique travaillent au sein d’un institut de recherche catholique ou protestant. »
*Oui, tout comme la plupart des biologistes dans un labo de biologie, et les gymnastes dans un gymnase. Il faudrait aussi regretter que les rédacteurs du Nouveau Testament aient été chrétiens… Non, M. Bourgeois, qu’elles soient catholiques ou protestantes, les Facultés de théologie sont des lieux de recherche et d’enseignement, pas des églises!

 « Meier a su rester dans les limites de l’acceptable […] » pour ne pas être inquiété par le Vatican.
*Du grand n’importe quoi. M. Bourgeois n’a-t-il pas mieux à proposer?

 

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